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La situation dans le monde, ses répercussions en France. La montée de l’inquiétude au sein des classes populaires

« Nous naviguons au milieu des rochers,
La terre est loin —, le ciel est gros d’orages »
Louis Festeau, La république en danger (1848)

« Un temps d’arrêt suspend la destinée :
Qu’est devenu le mot d’ordre En avant ?
Nous naviguons la poupe retournée. »
Pierre Dupont, La chanson du Banquet (1848)


Ce numéro traite principalement de la crise générale du capitalisme et de ses répercussions politiques, au plan international comme à celui de la nation.

Comme nous l’avions indiqué fin 2009 [1], et contrairement à ce que pouvaient affirmer alors nombre de spécialistes, la crise actuelle n’a pas fini de faire sentir ses effets. D’ampleur inégalée, affectant tous les secteurs de la société, cette crise inhérente au mode de production capitaliste, et son affirmation ultime en 2008, est l’aboutissement d’une succession de crises de moindre ampleur, amorcée dès les années 70.

Lié à la contradiction centrale sur laquelle repose le capitalisme, l’anarchie de la production qu’il génère, les crises se manifestent périodiquement, et ceci depuis le début du XIXe siècle (crises dites de “surproduction”), d’abord de faible et moyenne durée, tous les dix ou quinze ans. Avec le capitalisme parvenu à son stade ultime, l’impérialisme, le processus aboutit, par un mécanisme de “fuite en avant” aux crises généralisées, affectant l’ensemble du monde, à une échelle toujours plus large. Ces crises générales conduisent à une exacerbation de la concurrence et de la rivalité entre puissances capitalistes, comme ce fut le cas avant la Première Guerre mondiale, avec la crise de 1929, enfin avec celle que nous subissons aujourd’hui. Tous ces facteurs sont générateurs de guerres.

Les crises ont des effets destructeurs pour les classes populaires et pour l’ensemble de la société, au plan économique (régression de la production, désindustrialisation, chômage, appauvrissement, insécurité à l’égard de l’avenir), et aussi au plan politique, notamment sur les formes que revêtent les luttes de classe, faisant peser la menace d’un dévoiement de leur sens historique et la montée de processus de fascisation.

La perception de la gravité de la situation par les classes populaires

Dans l’enquête présentée dans ce numéro, portant sur l’appréciation de la situation internationale et nationale par des travailleurs de différentes catégories sociales, la plupart perçoivent ces facteurs d’aggravation en matière économique et politique. Ils redoutent qu’on ne puisse « en sortir » par un coup de baguette magique, quelles que soient les promesses que prodiguent les divers partis. Pour beaucoup, il y a prise de conscience que les désordres résultent de causes profondes liées au régime capitaliste, et qu’il ne suffit pas d’imputer tout le mal à un gouvernement ou à un ennemi désigné (les états-Unis, l’Europe, ou la Chine…) pour résoudre toutes les difficultés.

Plusieurs perçoivent aussi que la lutte se déroule dans des conditions défavorables (« difficile de riposter »), que les classes populaires sont désorganisées, et que, dans cette conjoncture, l’engagement dans des mouvements dont elles ne maîtrisent pas le cours, pourrait se faire à leur détriment.

Plusieurs s’interrogent à ce propos sur la signification de ce que l’on appelé “les révolutions arabes”. Certains redoutent des « manipulations de sentiments », le risque de prise en mains des mobilisations par des fanatismes, prenant ou non la religion pour prétexte. Ils perçoivent aussi que ces mobilisations peuvent participer d’une remise en cause d’équilibres mondiaux, déjà compromis, qu’ils peuvent masquer des tentatives de redistribution des marchés, des ressources, des zones d’influence.

La montée des puissances dites “émergentes” qui cherchent à se faire une plus large place au détriment des autres, font aussi redouter un ébranlement des rapports entre puissances, avec la crainte qu’en résulte une période de chaos incontrôlable, et que, de guerre locale en guerre locale, on finisse à ce que la guerre devienne mondiale, se déclenchant « à partir de n’importe quel pays du monde ».

La perte du cadre protecteur de la nation

De façon plus nette qu’au début de son déclenchement, des constats sont faits sur les répercussions de la crise mondiale sur le cadre national. La nation ne se présente plus, mais ceci ne date pas d’hier, comme cadre tutélaire. On estime qu’elle est « vulnérable », qu’elle « se délite », qu’elle « subit », sans aucune capacité de maîtriser la situation. De sorte qu’on n’imagine plus que la nation puisse encore se révéler capable de « défendre » si peu que ce soit le peuple. On ne « s’y reconnaît plus », dans la mesure où elle a cessé de correspondre à ce qu’elle devrait être : un cadre historique où l’on peut exister, se projeter dans l’avenir, parce que l’on s’y sent « chez soi » (quelle que soit d’ailleurs son “origine”), un lieu où l’on pouvait jusqu’à un certain point se trouver protégé, tant contre des menaces extérieures que les menaces de désagrégation interne.

En perte de souveraineté, la France semble « prise en tenailles » dans le jeu des puissances. Et l’on reconnaît que l’Europe ne présente pas à cet égard une protection, chaque puissance luttant pour son propre intérêt, sa survie ou sa prépondérance.

De plus, l’état de désorganisation des classes populaires ne semble plus permettre d’envisager une amélioration des conditions de vie et de travail. On estime que les organisations (politiques et/ou syndicales) ne sont « pas à la hauteur de la situation », ou trop occupées à « se disputer des empires » sans se « préoccuper de la bonne marche du pays ».

Ces organisations qui avaient pu porter, il y a trente ou quarante ans, les aspirations des catégories les plus soumises aux aléas du capitalisme (ouvriers et employés du privé, petits producteurs), ne remplissent plus leur rôle en effet. Dans le meilleur des cas, elles se bornent à relayer, en priorité, la défense des avantages (relatifs) de classes disposant de statuts, de ce fait encore plus ou moins “protégées” des effets les plus néfastes qu’engendre le capitalisme [2].

Le stade impérialiste du capitalisme accentue les rivalités entre puissances

Au plan mondial, la situation actuelle, présente quelques analogies avec celle qui succède à la crise générale du capitalisme survenue dans l’entre-deux-guerres. (Voir l’article Les suites de la crise de 1929 et la question du repartage du monde.)

Les contradictions de classes et les contradictions entre puissances se trouvaient, comme aujourd’hui, exacerbées, avec des répercussions au plan politique  : régression sociale induisant une montée des mécontentements que des mouvements fascistes ou fascisants s’efforçaient de capter à leur profit. Une différence de taille cependant, il existait alors, au plan mondial, un mode de production socialiste en Union Soviétique qui n’était pas atteint par la crise du capitalisme. L’existence de ce pôle mondial du socialisme avait, jusqu’à un certain point, retardé l’expression “libre” des rivalités entre camps capitalistes. Il fallait en effet, face à un adversaire historique commun, s’entendre sur un minimum de coordination, de crainte que les classes populaires ne profitent de leurs dissensions pour suivre l’exemple soviétique.

La crise générale de 1929 devait conduire à faire “sauter le couvercle” et déchaîner les antagonismes, jusqu’à ce que les différentes puissances en lice, ne puissent plus trouver d’autres moyens, pour les surmonter, que d’en découdre par la guerre généralisée.

A noter qu’avant ce déferlement général (comme avant la Première Guerre mondiale et aujourd’hui d’ailleurs), de nombreux troubles avaient éclaté dans les pays de la périphérie, champs d’affrontement des différentes puissances (notamment Balkans, Moyen Orient, pays du Maghreb). Les puissances qui récusaient l’équilibre relatif issu de la Première Guerre mondiale, étaient alors les plus actives à tenter de dresser les populations contre leurs concurrents. Les puissances menacées ne se privaient d’ailleurs pas de tenter d’y faire obstacle, avec les mêmes moyens [3].

Le capitalisme, dans ses périodes d’essor relatif, parvient à régler plus ou moins pacifiquement les conflits qui opposent chaque puissance à ses concurrents. Parvenu à son stade impérialiste, qui conduit immanquablement à l’extension de sa propre anarchie, il implique une extension et un approfondissement de l’affrontement entre puissances aspirant à l’hégémonie. C’est ce que Lénine établit dans son analyse de l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, dont une étude est proposée dans ce numéro. écrit à l’époque de la Première Guerre mondiale, ce texte est toujours d’actualité et permet d’éclairer quelques-uns de nos problèmes contemporains. Pour Lénine, la notion d’impérialisme ne valait pas pour désigner une puissance particulière comme on le fait le plus souvent aujourd’hui, mais bien le stade ultime du développement capitaliste lui-même. L’essence de l’impérialisme, précisait-t-il, c’est « la lutte entre puissances pour l’hégémonie mondiale ». Une telle lutte se manifeste sous forme de rivalité économique, pour les marchés, les ressources, sous forme de conquête d’espaces stratégiques, de territoires, de zones d’influence (incluant des alliances plus ou moins mouvantes entre rivaux et avec les puissances locales), mais aussi sous forme de guerre ouverte pour le partage et le repartage du monde.

Rivalité entre puissances impérialistes et tentatives d’enrôlement des luttes populaires

La crise générale du capitalisme potentialise les effets de la rivalité entre puissances impérialistes. Dans son sillage des dangers politiques de divers ordres se développent, ils se manifestent avec une acuité particulière lorsque les classes populaires sont politiquement désorganisées et désorientées. La lutte de tous contre tous (entre catégories, “communautés”, “origines”, “religions”) se donne alors libre cours, d’autant qu’elle est “stimulée” par toutes les puissances en rivalité (que celles-ci relèvent de structures capitalistes ou féodales). Chacune de ces puissances tente d’enrôler les populations pour sa propre cause, contre ses rivaux, et à l’occasion contre ses alliés de fortune. Les formes que revêt la lutte de classes en sont affectées.

Dans ces conjonctures de crise, les pêcheurs en eau trouble ont la partie belle, ils cherchent à souffler sur les braises, non pour s’attaquer aux causes des difficultés que subissent les populations, ou tenter d’atténuer les effets de la crise, mais pour faire, dans un pays donné, le jeu d’un clan contre un autre, ou, au plan mondial, le jeu d’un camp contre un autre. Détournant le sens des mots, ces pêcheurs en eau trouble peuvent aller jusqu’à affubler du mot de révolution, leurs entreprises de subversion et de désorganisation accrue des classes populaires.

Dans l’article Rivalités entre puissances impérialistes et tentatives d’enrôlement des luttes populaires, plusieurs illustrations sont données de telles tentatives de subversion des luttes populaires. Ainsi l’utilisation par l’impérialisme allemand, au cours de la Première Guerre mondiale, d’insurrections dites “musulmanes”, la manipulation de mouvements anarchistes en Italie, ou de rebelles irlandais contre le rival britannique. Avant la Seconde Guerre mondiale, le dirigeant communiste Dimitrov a pour sa part dénoncé les manœuvres de désorganisation mises en œuvre par les idéologues de l’Allemagne nazie, cherchant à mobiliser des mots d’ordre du mouvement ouvrier, en en retournant le sens, ou usant d’une « habile démagogie anticapitaliste » (alors qu’ils défendaient en fait les fondements de ce régime), ou encore spéculant sur des ressorts racistes — on dirait aujourd’hui “ethniques” ou “communautaires” — pour tromper et diviser les peuples.

Pour ne pas se laisser berner par des mots d’ordre mystificateurs, on comprend la nécessité de bien saisir la signification historique des mots, ainsi un mot tel que révolution, que des forces et classes réactionnaires ont tenté d’utiliser dans l’histoire, en en falsifiant la signification, pour tenter d’abuser des peuples à leur profit. (Voir dans ce numéro la Notion de Révolution).

La révolution en effet, contrairement à ce qu’on tend à nous inculquer depuis quelques décennies, n’est pas une simple insurrection, un coup d’état, une rébellion aveugle, pas plus qu’un simple changement d’institutions ou de gouvernement. Ce n’est pas un mouvement “spontané”, ou présenté comme tel, c’est l’ensemble d’un processus, orienté en fonction de perspectives historiques, qui comme tel suppose une prise en mains du devenir de la société par des classes effectivement révolutionnaires, capables d’orienter et unifier le mouvement général.

Depuis la Révolution française et la révolution soviétique, le terme de révolution vaut ainsi pour désigner un processus de transformation fondamentale de la base économique de la société et le remplacement du pouvoir politique d’une classe par une autre. Au moment de la Révolution française, il s’agissait d’éradiquer les vestiges encore subsistants du régime féodal et de congédier les classes qui voulaient maintenir leurs principes d’asservissement. Pour notre époque, plus particulièrement dans les métropoles capitalistes, il s’agit du remplacement du mode de production capitaliste par le mode de production socialiste, et de la substitution de la domination de la classe bourgeoise par celle du prolétariat, en alliance avec les autres classes populaires. Les autres usages du mot révolution servent à dissimuler des agissements contraires à l’intérêt des peuples.

La question de la disposition des forces de classes

Pour qu’un véritable processus révolutionnaire puisse aboutir, c’est-à-dire édifier une société réellement “sociale” ou socialiste, il ne suffit pas qu’existe ce que Lénine nommait une « situation révolutionnaire » [4], une condition nécessaire primordiale est requise : il faut que, dans une nation donnée, existent des classes effectivement révolutionnaires, qui « n’aient rien à perdre » et tout à gagner d’une transformation d’ensemble de la société.

S’il ne s’agit pas ici de proposer une analyse des classes et de leur disposition en France, dans la période contemporaine, on peut déjà préciser que seules aujourd’hui les classes soumises de plein fouet à l’insécurité du monde marchand capitaliste, ont un intérêt vital à cette transformation, et peuvent de ce fait, développer la conscience de la nécessité de cette transformation [5].

Les catégories sociales mieux protégées, même si cette protection tend à ne plus être garantie, n’ont pas pour l’instant ce même intérêt vital, elles aspirent plutôt à faire retour aux situations plus avantageuses qui leur avaient été assurées dans le passé, que cela se révèle ou non illusoire. Le principe du désir prime ici sur celui de réalité.

Il n’est pas question pourtant de jeter l’opprobre sur ces catégories de populations, moins soumises à l’anarchie capitaliste, de les opposer aux catégories prolétariennes, mais de considérer que les intérêts des unes et des autres ne convergent pas naturellement, qu’ils peuvent se révéler pour partie contradictoires [6].

Aujourd’hui, les principales organisations qui se réclament plus spécialement de la gauche, privilégient les intérêts à court terme de ces catégories. S’il ne faut pas négliger leur poids actuel dans le mouvement revendicatif, cela n’équivaut pas à admettre à tout jamais l’exercice d’un ascendant sur l’ensemble du mouvement, ascendant qui peut aller jusqu’à revendiquer un certain monopole de la “bonne conscience politique”.

Même si des contrecoups heureux peuvent parfois résulter des manifestations de protestation de catégories sociales qui n’ont pas encore le couteau sous la gorge, la classe ouvrière, et les catégories prolétarisées, ne peuvent rester seulement à la remorque de leur mouvement. C’est au contraire à la classe ouvrière, et aux autres catégories soumises aux effets les plus destructeurs des antagonismes capitalistes, de travailler à reconquérir l’orientation du mouvement, dans l’intérêt de toute la société. Il s’agit en ce sens de faire prendre conscience aux groupes sociaux les moins immédiatement menacés, qu’à long terme, la seule issue se trouve dans la transformation de la base économique de la société. Et que, pour ce qui touche au court ou moyen terme, ces groupes risquent de (presque) tout perdre en voulant que tout soit préservé, et pour eux seuls. Seule l’unification des luttes sur la base commune des atteintes et des dangers essentiels qui pèsent sur l’ensemble des classes populaires, pourra freiner la réaction.

La reconquête de cette capacité d’orientation et d’unification pour la classe ouvrière se heurte cependant à des difficultés. Ainsi la question du poids respectif des différentes catégories de population n’est pas sans faire problème. La proportion des ouvriers a baissé par rapport à celle de catégories disposant d’un statut stable. Toutefois, cette question joue particulièrement lors des échéances électorales, beaucoup moins lorsqu’il s’agit de dresser des perspectives historiques générales et de s’orienter sur cette base (d’autant, que même au plan de la quantité, le nombre d’individus directement affectés par les effets des contradictions capitalistes, restent majoritaires).

Un autre problème tient à la difficulté de s’organiser et se mobiliser lorsqu’on est menacé chaque jour de perdre son emploi, ses conditions d’existence, qu’on est soumis à la « discipline de la faim », que l’on est dans une situation où tout mène au découragement. Toutefois, si le rôle des mobilisations immédiates (faire grève, manifester) pour maintenir le plus possible les conditions de travail et de vie, n’est pas à négliger, l’essentiel de l’effort est à porter dans un autre domaine  : la reconquête d’une capacité organisatrice. Cela suppose le rétablissement de la conscience du rôle historique que peuvent et doivent jouer les classes prolétariennes, qui implique un travail d’organisation ou de réorganisation de l’ampleur de celui qui fut réalisé en France, après la défaite de la Commune, ou en Russie, à la fin du XIXe siècle.

Un de nos lecteurs, dans un témoignage publié dans ce numéro, indique à ce propos comment les activités auxquelles il participe en relation avec Germinal, lui ont permis, à l’échelle individuelle, de militer en toute conscience, avec l’idée, que non seulement cela le fait personnellement progresser, mais contribue aussi à la progression de la société tout entière.

Reconstituer un lieu politique donnant à voir les perspectives historiques

S’engager dans ce parcours dans la durée ne revient pas à abandonner les activités militantes, lorsqu’on en a. Cela ne revient pas non plus à clamer à tous vents : “la révolution est pour ce soir”, car dans les conditions d’impréparation actuelles, cette prétendue révolution tournerait en son contraire. Il ne s’agit pas non plus de se contenter de bramer “il nous faut un parti”, bien sûr qu’il en faut un, mais un véritable parti ne peut se reconstituer que si l’on a travaillé à en créer ou recréer les conditions. C’est pourquoi ce qui se présente aujourd’hui comme indispensable, c’est de travailler à orienter le sens des luttes, en saisissant ce qui est nécessaire et possible à chaque moment de l’histoire concrète. C’est pour contribuer à l’avancement de ces tâches que l’Union de lutte des classes populaires s’est constituée. Toute force qui s’associe à ces tâches fait progresser l’ensemble.

Les périodes de reflux historique de l’initiative historique des classes populaires ne sont pas éternelles, pour peu que l’on s’attelle aux tâches que la reconquête de cette initiative requiert. Des atouts existent, la conscience politique des classes populaires n’est pas annihilée, on peut prendre appui sur cette capacité, sur la volonté de comprendre la nature des phénomènes et leurs causes, de saisir ce qui est effectivement possible dans une situation concrète donnée.

Participer aux tâches historiques que requiert la situation est ainsi accessible à tous, ouvriers ou non, à ceux qui, selon la formule de Marx, veulent faire l’effort de « se hausser à la compréhension de l’ensemble du mouvement historique », à ceux qui veulent mettre en avant le bien commun de la société.

Dans un temps d’adversité, seuls quelques-uns sans doute peuvent pleinement s’atteler à ces tâches, reconstruire, en relation continue avec les préoccupations des classes populaires, un lieu politique d’orientation, indépendant. En se souvenant, que, plusieurs fois dans le passé, c’est à partir de la constitution de ces lieux forts que la marche ascendante de l’histoire a pu reprendre son cours [7].

« [Peuple, on] craignait ta puissance,
[On] est venu te désarmer,
Conserves-en la souvenance. »
d’après Peuple, réveille-toi ?, auteur anonyme (1849)

« Frères, l’idée est invincible ?
[…] On la croit morte et son tombeau redevient sa couche natale. »
Victor Rabineau, La république sociale (1849)

Notes    (↵ Retourner au texte)

  1. 1. Voir le numéro 4 de Germinal : Les dangers portés par la crise générale du capitalisme.
  2. 2. Dans ses phases de prospérité, ce régime avait pu leur rétrocéder quelques miettes de ses profits. De sorte qu’aujourd’hui ces organisations entrent en rébellion, moins pour lutter contre la logique destructrice du capitalisme, ou mettre au premier plan les intérêts des catégories les plus menacées, que pour exiger un retour en arrière, à ce moment béni des “Trente Glorieuses”, au cours duquel ces miettes leur avaient été concédées.
  3. 3. À noter qu’aujourd’hui, ce ne sont vraisemblablement pas les mêmes “camps” qui ont “encouragé”, d’un côté, les soulèvements en Tunisie et en égypte, de l’autre, les “rebelles” en Libye. Dans le cas de la Libye, il peut sembler, que du point de vue des puissances en lice, il s’agisse d’une réponse du berger à la bergère. Ainsi, sur des sites qui se faisaient les porte-paroles du “camp” des puissances favorables à la déstabilisation des pouvoirs en place, en Tunisie et en égypte, on pouvait dès février-mars, se féliciter des modifications du champ stratégique qui en résulteraient. « Les rapports de force vont changer dans cette région », indiquait en ce sens un commentateur, Mohamed Hassan, dénonçant la place indue qu’y occupaient jusqu’alors les puissances d’un autre “camp” (Angleterre, France, États-Unis). En revanche, sur ces mêmes sites, lors du déclenchement des événements en Libye, la dénonciation changeait de sens  : on imputait à ces mêmes puissances, non de vouloir, comme en Tunisie, maintenir le pouvoir en place (celui de Kadhafi), mais viser à le déstabiliser (sans doute pour rétablir une partie de la donne stratégique à leur profit).
  4. 4. Selon Lénine, une situation révolutionnaire se caractérise par plusieurs facteurs : l’impossibilité pour la classe dominante de maintenir sa domination sans en changer la forme, l’aggravation, plus qu’à l’ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées, l’accentuation de l’activité des masses vers une activité historique indépendante, et bien sûr l’existence d’une classe révolutionnaire et sa capacité à orienter le mouvement de larges masses. Encore Lénine tient à préciser que toute situation révolutionnaire n’aboutit pas à une révolution. Voir Lénine, La faillite de la deuxième Internationale.
  5. 5. Cet aspect de la disposition concrète des forces de classes a déjà été abordé dans de précédents numéros de Germinal. Il semble maintenant que par une sorte de “transmission de pensée”, plusieurs groupements politiques, qui auparavant, n’avaient pas vraiment mis au cœur de leur argumentation cette question, s’en préoccupent désormais.
  6. 6. L’intérêt commun ne résulte pas de l’addition des intérêts particuliers des différents groupes sociaux.
  7. 7. Les cercles d’études sociales constitués par Jules Guesde, quelques années après la défaite de la Commune, regroupaient peu de monde, ils contribuèrent cependant à la reconstitution de puissantes organisations ouvrières en France à la fin du XIXe siècle. Il en était de même en Russie pour l’Union de lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière, qui, en 1895, ne regroupait avec Lénine qu’un nombre restreint de militants. Cette Union joua pourtant un rôle pionnier pour l’organisation ultérieure des ouvriers et paysans qui devait conduire à la révolution de 1917.

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