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Une figure du mouvement ouvrier et socialiste : Louis Blanc (1811-1882)

Louis Blanc est un organisateur aujourd’hui méconnu du mouvement ouvrier et socialiste français. Il fut un des premiers théoriciens à avoir posé quelles sont les conditions de la transformation effective de la société, dans sa base économique et ses institutions politiques.

Louis Blanc envisageait la constitution de grands ateliers socialisés de production (socialisation de moyens de production), pour mettre fin à l’anarchie du régime capitaliste, à sa logique privée concurrentielle qui conduit périodiquement à de grandes crises générales affectant toute la société. Ses idées maîtresses ont été notamment formulées dans L’organisation du travail, dont une édition parut à la veille de la révolution de 1848, mais dont les premières ébauches remontaient à 1839. Son plan de réorganisation de la société se fondait sur l’organisation de la production des secteurs clés par les ouvriers associés. Dans ce cadre, l’Etat assumait un rôle de réglementation raisonné de l’ensemble de la production, afin d’assurer pour une nation une économie cohérente.

La tradition socialiste, mais aussi communiste, tant théorique que pratique, a contracté une dette non reconnue avec Louis Blanc, qui fut un des organisateurs parmi les plus populaires de son temps. Son apport à l’émancipation des classes populaires, qu’il formula avant Marx lui-même, demeure essentiel et encore d’actualité.

Organiser le travail à l’échelle de la société

C’est au moment de la révolution de juillet 1830 que Louis Blanc, âgé de dix-neuf ans, monte à Paris chercher fortune. Après avoir exercé plusieurs métiers pour subvenir aux besoins de sa famille, il devient précepteur du fils d’un industriel d’Arras, qui dirige une fonderie employant six cents ouvriers. C’est là qu’il observe l’organisation du travail dans l’industrie capitaliste moderne, et fait ses premières armes comme journaliste d’opposition à la Monarchie de Louis-Philippe, qui représente le triomphe de la bourgeoisie.

Revenu à Paris en 1834, il développe un intense travail de journaliste, d’historien, de théoricien du socialisme, d’éducateur et d’organisateur du peuple. À cette époque, la grande industrie et le chemin de fer se développent ; le marché intérieur français se consolide. Les ouvriers affluent vers les villes et vivent dans des conditions innommables. En 1846, c’est la crise, crise agricole et de surproduction industrielle qui affecte de nombreux pays européens. Louis Blanc cherche un remède à l’injustice sociale et à l’anarchie capitaliste de la production et des échanges.

Dans l’Organisation du travail Louis Blanc développe le projet d’ateliers sociaux de production, qui n’ont strictement rien à voir avec les Ateliers nationaux mis en place le 26 février 1848, qui n’étaient que des ateliers de charité [1]. Dans ce texte, Louis Blanc ne propose pas de projets utopiques, il part des conditions existantes de la production moderne pour projeter un régime économique cohérent. Il escompte même prendre à son propre piège le principe de la concurrence, pour faire triompher le principe de ses ateliers sociaux et en finir avec la « concurrence illimitée », cause de crises de surproduction périodique, de misère pour les travailleurs, de guerres permanentes entre individus, groupes et puissances : « Cette tâche consisterait à se servir de l’arme même de la concurrence [que ferait la production socialisée], pour faire disparaître la concurrence [de type capitaliste, qui découle la production à des fins privées] ». On comprend bien pourquoi Louis Blanc fut honni par les opposants modérés à la Monarchie qui étaient des tenants du libre-échange et du laisser faire.

Louis Blanc et la Révolution de 1848

Louis Blanc a joué un rôle dans la Révolution de 1848 jusqu’aux journées de Juin, qui consacrèrent une défaite de la classe ouvrière et la reprise en main de la situation par les partisans du régime capitaliste et leurs alliés. Tout au début de la révolution, Louis Blanc demanda la création d’un Ministère du Travail et du Progrès qui aurait pour rôle d’organiser la production dans l’ensemble de la société. Sa demande ne fut pas satisfaite. A la place, en guise de succédané, fut créée la Commission du gouvernement pour les travailleurs (dite “du Luxembourg”), dont il était président. La commission n’a pas de grands pouvoirs, mais elle favorise la création d’associations générales de producteurs. Elle posait aussi la nécessité du « Droit au travail », droit qui à terme conduit à remettre en cause le fondement capitaliste de l’économie [2]. De façon plus immédiate, cette commission posait la nécessité de la réduction de la journée de travail à dix heures et supprima le marchandage et le livret qui permettait au patron de suivre les antécédents des ouvriers.

Contrairement à ce que ses détracteurs ont soutenu, et même si ses projets généraux ne purent être appliqués dans les conditions sociales et politiques de l’époque, Louis Blanc n’était pas un utopiste. Dès que ce fut possible, il commença à appliquer concrètement son projet d’ateliers sociaux : en avril 1848, une commande de plus de cent mille uniformes pour la garde nationale en fut l’occasion. Le succès auprès de ouvriers fut immédiat et l’entreprise fut efficace.

L’Assemblée constituante ayant ignoré le projet de loi créant un Ministère du Travail et du Progrès, Louis Blanc démissionna de la présidence de la Commission du Luxembourg, qui disparut quelques jours plus tard, en mai 1848, sous la pression de forces réactionnaires.

Après l’insurrection parisienne de Juin 1848 et la défaite des forces ouvrières, Louis Blanc dût s’exiler en Angleterre. Fidèle à ses principes, il refusa de revenir en France sous le second Empire. À son retour en 1870, il assista à la défaite française et à l’invasion allemande, s’insurgea contre la cession de l’Alsace et de la Lorraine.

Il n’approuvait pas les orientations politiques de la Commune de Paris, ceci en raison des tendances fédéralistes qui s’y manifestaient, et qui menaçaient de briser l’unité de la nation. Mais après la défaite des Communards, il ne cessa de lutter pour leur amnistie.

En tant que député de Paris, il milita pour la laïcité et la séparation des Églises et de l’État, mais ses idées sociales n’étaient plus à l’ordre du jour. Une part de l’histoire de notre nation en a cependant longtemps été imprégnée.

Il en fut de même pour ses idées concernant la forme politique de la nation. Dans Doctrine de l’État, La République une et indivisible et Plus de Girondins !, Louis Blanc a en effet défendu le principe d’une république unitaire, contre les éléments qui la dissolvent, à savoir tout spécialement le fédéralisme de Proudhon. Il a aussi établi une corrélation entre le laisser faire économique et le règne des autonomies propre au fédéralisme.

Il y a encore de multiples enseignements à tirer de son œuvre.

Lire L’organisation du travail, à paraître Cahiers pour l’Analyse concrète, n° 66-67.

Louis Blanc, Doctrine de l’État Plus de Girondins; La République une et indivisible, Uzès, Inclinaison, 2008, 15 euros.

Notes    (↵ Retourner au texte)

  1. 1. Louis Blanc n’a jamais voulu ce type d’ateliers, caricature de ce qu’il projetait, mais dans les livres d’histoire, on lui impute encore aujourd’hui de les avoir préconisés.
  2. 2. « Le droit au travail, qu’on le sache ou qu’on l’ignore, implique nécessairement l’organisation [sociale] du travail ; et l’organisation du travail implique la transformation économique de la société », François Vidal, 1848.

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