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Un exemple de recomposition de l’ordre mondial dans le Caucase – Tentative de détourner les forces russes. Rivalité pour la maitrise des voies de circulation des richesses.

 

 

Quelques éléments pour la compréhension à partir des articles de la revue Orient XXI, notamment celui de Tigrane Yégavian intitulé «  Haut-Karabagh, de la guerre sans fin au conflit par procuration.  »

Le Caucase1 est depuis des temps immémoriaux le lieu occupé par les empires (romain, ottoman, russe) et l’objet de leur rivalité car il ouvre la voie des routes commerciales. Il ne cesse donc d’être l’objet de conflits. Dans cette période de trouble, de chaos et d’opérations de repartage, la guerre de cet automne entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan nous montre comment un conflit local met en jeu, au- delà des questions locales apparentes, des rivalités essentielles entre puissances et participe de la recomposition de l’ordre mondial.


Les protagonistes

Le conflit au Haut-Karabagh a pour protagonistes l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Un premier conflit avait eu lieu au moment de l’éclatement de l’Union soviétique entre 1988 et 1994 dans l’enclave arménienne du Haut-Karabagh, en Azerbaïdjan du sud-ouest. Une deuxième guerre les avait opposés en 2020. Elle concernait le Haut-Karabagh, un territoire en discussion2 entre les deux protagonistes. Enfin, le troisième conflit, la guerre de 2022 se situe, elle, sur le territoire de l’Arménie. Menée par l’Azerbaïdjan (avec le concours de la Turquie  ?), elle change la donne et le rapport de force.

Déjà au terme du cessez le feu tripartite de 2020, les Arméniens avaient dû renoncer aux 75 % du territoire qu’ils contrôlaient désormais sous surveillance de la force d’interposition russe environ 2000 casques bleus. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan a pris des positions stratégiques qui lui permettent de conquérir le Sud de l’Arménie en quelques heures. Fort de sa victoire militaire, il exige «  le principe de son intégrité territoriale  » (ce qui, selon lui, inclut le Haut-Karabagh) et demande un couloir extraterritorial dans le Sud de l’Arménie pour relier l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan, lui-même relié à la Turquie par une étroite bande de terre de 15 km, ce qui revêt une importance stratégique essentielle.

 

 

Les puissances intéressées

Selon T. Yegavian, depuis 2020, au conflit initial se greffent deux conflits par procuration  : entre russes et turcs et entre israéliens et iraniens.


Israël

Israël et l’Azerbïdjan sont liés depuis le début des années 2000 par un partenariat stratégique et l’Azerbaïdjan est considéré par Israël comme une base israélienne contre l’Iran. Israël est le plus grand fournisseur d’armes de l’Azerbaïdjan. Les importations de défense de l’Azerbaïdjan proviennent à 70 % d’Israël, avec ajout de batteries de drones en 2022. Israël augmente parallèlement ses importations d’hydrocarbures en provenance de l’Azerbaïdjan et envisage de renforcer la coopération stratégique.


Iran

L’Iran avait soutenu l’Arménie pendant la première guerre de 1993-94 et avait averti l’Azerbaïdjan que sa frontière avec l’Arménie constituait une ligne rouge à ne pas franchir. Mais en 2020, il s’est rallié aux arguments azeris (Bakou évoquait la possibilité d’offrir son espace aérien aux jets israéliens pour entrer en Iran  !). L’Iran a des préoccupations à la fois économiques et géopolitiques. Le projet de corridor extraterritorial reliant Bakou à Ankara constitue pour lui une menace car il permettrait de remplacer les gazoducs iraniens par des gazoducs opérant depuis l’Azerbaïdjan et l’Asie centrale, privant l’Iran de son rôle crucial dans le commerce et le transit énergétique. Si l’Iran perd sa frontière et ses liaisons de transport avec l’Arménie, «  son commerce avec l’Europe et l’Eurasie est à la merci des routes commerciales turques et azerbaïdjanaises  »

L’Iran a organisé des exercices militaires près de sa frontière avec les deux pays.


Russie

La Russie et l’Arménie sont liées par un traité d’assistance depuis 1997. La Russie est l’arbitre du conflit opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 2020. Elle contrôle désormais le Haut-Karabagh en tant que force d’interposition (1 960 hommes). Elle ne veut pas s’aliéner l’Azerbaïdjan avec lequel elle a une frontière terrestre commune et des projets de nouvelles voies de communication russes vers l’Europe. Plus même, un accord est signé en février 20223 au terme duquel Bakou offre une voie alternative d’exportation du gaz. Depuis, les exportations de gaz de l’Azerbaïdjan ont augmenté de 50 % alors même que sa production a baissé.

Le plan Lavrov 2 inclut le corridor extraterritorial au Sud de l’Arménie, ce qui lui permettrait d’accéder à la Turquie et à la Méditerranée via l’Azerbaïdjan via ce corridor.


USA

Dès la fin des années 90, comme le rappelait le politologue américain Brzezinski, la région est devenue importante dans la stratégie américaine qui a besoin de faire sauter les verrous du continent eurasien que sont l’Azerbaïdjan et l’Ukraine. Dès lors, les États-Unis poursuivent leurs efforts pour contenir et affaiblir la Russie, l’administration Biden s’efforce de réduire la présence politique, économique et militaire russe dans le Caucase du Sud.

Ils tentent désormais de prendre pied (position) dans la région afin de contrôler le poids de la Russie en profitant de son état de faiblesse actuel. Ils voient aussi dans l’Arménie «  un balcon sur l’Iran  ». La visite historique à Erevan de la présidente de la chambre des représentants des États-Unis intervient au moment où les USA cherchent à profiter de la situation actuelle en incitant Erevan et Bakou à un accord de paix qui donnerait aux occidentaux un accès à la mer Caspienne via la Turquie. Ils veulent utiliser leur implication dans les négociations Arménie-Azerbaïdjan pour créer les conditions du retrait des casques bleus russes du Haut-Karabagh et pour faire avancer le retrait de la base militaire russe d’Arménie. Le vide serait alors comblé par la Turquie en tant que puissance régionale et alliée des USA.


Turquie

La recomposition géopolitique vers l’Est et le Caucase devient une zone importante pour la Turquie en termes économiques avec la question des couloirs de circulation. Cela renforcerait son influence économique et politique sur l’Iran et son hégémonie régionale (cf. panturquisme du XIXe siècle).

Là se pose en partie son pouvoir sur l’UE et l’Occident. Elle se pose là aussi comme médiateur le mieux placé pouvant se faire entendre de toutes les parties. Néanmoins, Erdogan dit que l’Azerbaïdjan et la Turquie «  c’est deux États, une seule et même nation  ».

Et, qu’en est-il de l’Arménie au bout du compte  ?

’Arménie, quant à elle, «  victime de la géopolitique des empires, n’est plus qu’une monnaie d’échange où Russes et Turcs tentent de maintenir à l’écart les occidentaux  » affirme T. Yégavian. Par ailleurs, elle ne peut rien attendre de l’Occident. C’est pourquoi selon T. Yégavian «  leur unique planche de salut repose sur la recherche de nouvelles alliances avec des pays qui partagent les mêmes intérêts géostratégiques, l’Inde, l’Iran, et dans une moindre mesure la Chine.  »


 

1. Le Caucase est constitué de trois Pays : Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan.

2. Conflit opposant la République autoproclamée du Haut-Karabagh – aussi appelée Artsakh –, soutenue par l’Arménie, à l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, pour le contrôle du Haut-Karabagh, territoire originellement rattaché à l’Azerbaïdjan, un État non reconnu par la “communauté internationale” depuis sa déclaration d’indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991.

3. Signature aussi le 22 février d’une déclaration sur l’interaction d’alliance entre les deux pays qui concerne de nombreux domaines dont politique, militaire, commercial et industriel (notamment énergie, pétrole et gaz).

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