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Retour généralisé aux conditions de vie “à l’incertain” Une régression historique

L’ouvrage de Camille Peugny Le déclassement (Grasset, 2009) date déjà d’une dizaine d’années. Il n’en présente pas moins des données intéressantes concernant les processus de déclassement social, en cours en France depuis le “tournant” des années 70, et ses possibles répercussions sur les processus d’organisation et les luttes des classes sociales.

L’auteur propose une définition du déclassement en fonction du rapport entre profession des parents et profession des enfants  : «  Est déclassé tout individu qui ne parvient pas à maintenir la position sociale de ses parents  ». Ce processus de déclassement, qui affecte les enfants de cadres et cadres supérieurs, s’inscrit dans la durée historique, marquant un “retournement de situation”, par rapport à la période précédente, dite des Trente Glorieuses. Au cours de cette période, se manifestait une tendance à la mobilité sociale ascendante pour un certain nombre d’enfants des classes populaires. Et jusque dans les années 80, les cas d’ascension sociale étaient encore nombreux [1].

Pendant la période de reconstruction d’après-guerre en effet, il avait fallu reconstruire, il y avait nécessité forte de main d’œuvre qualifiée. Dans ce contexte, l’école semblait à même de contribuer à la formation de cette main d’œuvre, conduisant à réduire la barrière entre l’origine sociale des individus et la possibilité d’ascension sociale. La “société méritocratique” se développe alors, la réussite comme l’échec s’individualisent et ne paraissent plus liés à un «  destin de classe”. Le niveau d’éducation général s’élève, le marché de l’emploi absorbe sans peine les diplômés. Jusque dans les années 60, cet essor des catégories employés et professions intermédiaires, se traduit par l’émergence d’une vaste “classe moyenne”, qui atténue le clivage entre la classe ouvrière et les classes supérieures. L’auteur parle d’une “moyennisation de la société”, d’une relative uniformisation des pratiques et des modes de vie. Bien que la base et les rapports sociaux ne se soient pas modifiés, les analyses sociales de type marxiste ne paraissent plus dès lors adaptées pour rendre compte de la structuration de la société.

La première crise de l’après-guerre vient rompre cette “moyennisation heureuse”. Un hiatus commence à se manifester entre “origine sociale” niveau d’éducation, diplômes, et possibilité de se faire une place sur la marché du travail. L’élévation sensible du niveau d’éducation s’accompagne d’une dégradation des perspectives sociales. Les enfants, même plus diplômés que leurs parents, n’ont plus de débouchés, et se retrouvent à des postes d’exécutants. Dans la France des années 2000 déjà, un fils de cadre sur quatre, et une fille sur trois, occupent une position professionnelle inférieure à celle de leur père. La fréquence de telles trajectoires ne cesse d’augmenter. En contrepoint, “l’ascenseur social” pour les enfants d’ouvriers et d’employés s’est mis “en panne”. Les perspectives de promotion sociale vers le salariat d’encadrement se referment. 

Le phénomène de déclassement et ses effets sur les attitudes politiques

Les processus de “déclassement” sont à mettre en relation avec la situation économique des années 1970. Celle-ci se présente en effet comme première grande crise depuis la guerre, et premier symptôme annonçant l’entrée du capitalisme dans une phase de crise plus générale.

Dans ce contexte historique, les trajectoires de “déclassement” ne sont pas sans répercussions pour les personnes qui y sont confrontées. Alors que dans la situation d’après-guerre, la mobilité sociale ascendante s’était accrue, on assiste au phénomène inverse, une mobilité sociale “descendante”. Les générations nées depuis les années 1960 plus diplômées que leurs aînés, ont des perspectives de stabilité et de mobilité sociale dégradées, avec des attentes plus grandes, faisant naître pour beaucoup un état de “souffrance”. Selon l’auteur, cet état est susceptible, au plan collectif, d’affecter la cohésion sociale, dans la mesure où la quantité de personnes “souffrantes” augmente. L’ouverture large de l’enseignement secondaire et supérieur et les attentes qu’il a suscitée (en contradiction avec l’état du marché de l’emploi), rendent en outre plus sensibles les effets du “déclassement”. À une «  forte aspiration sociale à la réussite, une participation honorable à la compétition scolaire  » s’oppose «  l’absence de mobilité sociale  ».

L’expérience est douloureuse, dévalorisante, elle suscite chez les individus un sentiment de frustration  : «  Les effets du sentiment de frustration sur les déclassés sont visibles dans le domaine politique  : il modèle des attitudes, des représentations, des comportements politiques  ». Au plan collectif, pour une partie des “déclassés”, un sentiment fort se fait jour  : celui d’appartenir à une génération sacrifiée. Ce sentiment influe sur les attitudes politiques. La perception d’une injustice peut déboucher sur un discours violent à l’encontre du système scolaire, accusé d’être totalement inadapté aux besoins réels de la société, mais aussi à l’encontre du système social, estimé in capable de donner à chacun “la place qu’il mérite”.

Le processus de déclassement contribue aussi à rendre les groupes sociaux plus disparates. Les déclassés alimentent des groupes sociaux dont ils ne faisaient pas partie de par leurs origines sociales. Dans le groupe ouvriers et employés, il y a des fils de cadres. Le vote de classe perd de sa signification, il n’est plus le meilleur indicateur des attitudes et opinions politiques des différentes classes et groupes sociaux. Aux votes de type “structurel” se substituent des votes “conjoncturels”, avec des “électeurs conjoncturels”. Selon l’auteur depuis les années 2000, le clivage droite/gauche associé à des enjeux de classe, a perdu de sa signification. D’un axe socio-économique, on serait passé à l’expression d’un clivage de l’espace social «  ouvert/fermé  ». 

Pour une partie de ceux qui sont dans la situation de “déclassés”, un comportement spécifique se ferait jour. Il en dégage quelques traits  : hostilité au libéralisme économique, en même temps que faible degré de préoccupation sociale, conscience aigue de la précarité de leur situation professionnelle  ; attente d’une certaine protection de la part de l’État et d’un contrôle de l’activité économique. En même temps, peu d’attachement à la fonction redistributive de l’État, s’accompagnant d’une critique de ceux qui en bénéficient, estimés responsables de leur situation. Ce discours contradictoire révélerait un mécanisme capable de rendre acceptable le sens de leur trajectoire “descendante”. La défiance à l’égard de la politique, qui constitue selon l’auteur un levier important du FN, n’aurait cependant pas spécialement d’attrait pour ces “déclassés”.



Notes    (↵ Retourner au texte)
  1. 1. L’auteur prend en considération deux générations d’hommes âgés de 40 ans  : ceux nés entre 1944 et 1948, et ceux nés entre 1964 et 1968. Pour la première génération, la chance d’avoir une situation professionnelle supérieure à celle des parents, le rapport était de 2,4, pour la seconde génération de 1,4.

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