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Note de lecture critique : Stéphane Hessel, Indignez-vous ?

Indignez-vous, la mince brochure (13 pages de contenu) de Stéphane Hessel a connu un grand succès de librairie (aux dernières nouvelles, près d’un million d’exemplaires). Pour l’éditeur, Indigène, qui prétend « rompre avec les logiques mercantiles », c’est tout de même un bon filon [1].

Mais là n’est pas l’essentiel. Si l’on lit attentivement la brochure, on demeure perplexe, le contenu n’est pas loin du vide abyssal, et l’on se demande ce qui a pu susciter un tel engouement, du moins dans les medias, car il n’est pas certain que tous les acheteurs aient été aussi des lecteurs.

Dans une période difficile, trouble, le slogan “indignez-vous ?” peut certes se faire l’écho des mécontentements et exaspérations ressentis par divers groupes et classes, et de ce fait retenir l’intérêt. En aucun cas cependant, ce slogan ne permet d’ouvrir des perspectives pour les peuples, et rendre compte de leurs véritables exigences historiques. L’auteur d’ailleurs, et les courants dont il n’est sans doute qu’un porte-parole [2], ne semblent nullement avoir envie de proposer des objectifs favorisant une unification des lutte populaires.

Surfant sur la vague porteuse des récriminations du moment, Stéphane Hessel semble surtout préoccupé par le souci de “souffler sur les braises”, en vue de coaliser des intérêts contradictoires, ceci non pour ébranler le régime social (le capitalisme), mais pour dénoncer tel ou tel gouvernement dans un pays ou un autre, leur enjoignant de “dégager la place” au profit d’on ne sait quel nouveau pouvoir.

Il n’est nulle question pour lui d’analyser la situation de proposer des orientations. Stéphane Hessel, en faisant état de son engagement dans la résistance, de son opposition au fascisme [3], de son adhésion aux valeurs du programme du Conseil National de la Résistance, dont il se présente comme héritier, ne vise qu’à légitimer ses prises de position du moment, sans se soucier d’ailleurs des dissimilitudes entre les conditions d’alors est celle d’aujourd’hui. Il se targue aussi du privilège de l’âge (93 ans) pour cautionner ses indignations sélectives : le sort fait aux sans-papiers, aux immigrés, etc. Et, pour ne pas manquer le coche, il vise à rallier à sa cause toute protestation au goût du jour : prétendant défendre les acquis sociaux, les retraites, la sécurité sociale, en y associant, de façon paradoxale, la lutte contre le “productivisme” (on se demande alors qui va payer ?). Il s’insurge contre la société fondée sur l’argent, sans mettre pour autant en question le fondement même du régime capitaliste. De ce fait, son indignation ne s’applique pas à la situation que ce régime en crise fait peser sur les travailleurs : désindustrialisation, licenciement, chômage…

Après ces hors d’œuvre, le motif principal pour lequel Stéphane nous enjoint à nous indigner, concerne la Palestine persécutée par Israël et les juifs. Un quart des pages s’y trouve consacré et l’ensemble nous incite à épouser le motif unique de cette dénonciation, unilatérale, d’un État et d’un peuple (ici encore sans aucune analyse des différents facteurs et causes du conflit). Certes, l’auteur regrette les actes terroristes du Hamas, ou plutôt il déplore que « le Hamas n’ait pu éviter que des rockets soient envoyés sur les villes israéliennes ». Ce qu’il présente comme actes d’exaspération, bien qu’estimés « inacceptables », ne doit pas selon lui être condamné pour autant. Il nous incite plutôt à « comprendre » les terroristes, tout en jugeant utile de les conduire, par souci d’efficacité, à modifier leur tactique :

« Se dire “la violence n’est pas efficace”, c’est bien plus important que de savoir si on doit condamner ou pas ceux qui s’y livrent. Le terrorisme n’est pas efficace. »

Au nom de l’efficacité, Stéphane Hessel prône en ce sens « l’espérance non-violente », ce qui, au plan de la tactique, correspond à « l’insurrection pacifique » (leçon, semble-t-il, retenue par les “indignés” de Tunisie et d’Égypte, du moins jusqu’à un certain point). Le message envoyé tient pour l’essentiel à promouvoir un tel retournement de la ligne de conduite des combattants, dans la mesure où il lui semble que l’on peut ainsi mieux capter la sympathie de tous les “indignés”.

Sans nullement dénier à Stéphane Hessel la liberté de ses opinions et du choix de son camp dans le cadre des luttes et rivalités entre puissances du monde (grandes et petites), cette note de lecture vise ainsi à mettre au jour, plus clairement qu’il ne le fait, l’enjeu des choix qu’il opère sous l’étendard d’une vertueuse indignation qu’il nous enjoint à partager.

Pour les classes populaires, il faut cependant affirmer que leur lutte ne peut prendre appui sur la seule indignation. Dans le passé, des mouvements fascistes ont largement usé de ce registre, pour tenter de coaliser les emportements aveugles et contradictoires de fractions sociales désorientées, au détriment de la lutte d’ensemble des classes populaires, et pour une cause contraire, productrice de chaos. L’unité de lutte du peuple ne peut se construire sur le seul principe de la dénonciation, elle requiert l’élaboration de perspectives communes, et celles-ci ne peuvent se construire qu’en fonction d’une analyse de la situation historique, donnant à voir ce qu’il est possible de viser et de réaliser.

Notes    (↵ Retourner au texte)

  1. 1. À trois euros pièce, cela fait tout de même trois millions d’euros (vingt millions de francs), soit un million d’euros en admettant que seulement un tiers revienne à l’éditeur.
  2. 2. Stéphane Hessel semble en relation avec des organisations telles que Europe Écologie, Attac, Amnesty International, il se réclame, comme elles, de l’efficacité de l’action en réseau et de l’utilisation des grands moyens de communication.
  3. 3. Selon Stéphane Hessel, la cause du fascisme semble être due, comme dans les thèses révisionnistes de l’idéologue allemand Ernst Nolte, à la peur des possédants à l’égard de la révolution bolchevique. S’agissant de l’Union Soviétique et du communisme, il indique que s’il a pu, en son temps, accorder un satisfecit au communisme, « pour contrebalancer le capitalisme américain », il n’en demeure pas moins qu’un des importants progrès réalisé depuis 1948 fut pour lui « la destruction de l’empire soviétique ».

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