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La révolution de 1917 n’est pas tombée du ciel

La révolution de 1917 n’est pas tombée du ciel

En dépit des grandes difficultés que la révolution russe (soviétique) dut affronter, elle parvint à maintenir des objectifs socialistes dans la durée, en dépit de l’immaturité économique du pays et de la coalition de toutes les puissances capitalistes, contre ce processus d’édification. On peut estimer que tous les espoirs qui avaient pu être mis dans cette révolution ne purent se réaliser comme on pouvait le projeter dans un monde idéal. On doit cependant retenir que, comme il en avait été le cas pour la Révolution française, le rôle historique de cette révolution fut considérable, tant pour la lutte des classes populaires des pays capitalistes, l’amélioration de leur situation, que pour l’émancipation des nations et classes des pays de la périphérie impérialiste, colonisés ou non. Sans supprimer les antagonismes sociaux de classes et de puissances qui minaient le régime capitaliste, l’existence, face à celui-ci, d’un pôle socialiste mondial joua un rôle décisif pour l’orientation des peuples. Et ceci même lorsque ces antagonismes eurent atteint leur comble, lors de la période dans l’entre-deux-guerres, marquée par une nouvelle crise générale du capitalisme, par la montée des fascismes, et enfin la Seconde Guerre mondiale.

Ce pôle socialiste mondial aujourd’hui n’existe plus, on n’en analysera pas ici les causes dans leur complexité, seulement les conséquences qui en ont résulté pour les classes populaires, et plus généralement pour les sociétés. Les grandes organisations politiques, qui, depuis la fin du XIXe siècle et pour toute une partie du XXe siècle, portaient l’espérance historique des classes populaires, se sont elles aussi effondrées. Plus préoccupant encore l’idée même de pouvoir à l’avenir mettre fin au mode capitaliste de production, et à ses effets destructeurs, paraît ensevelie sous l’opprobre. Partout le règne du capitalisme s’est réinstauré, et partout avec lui des formes archaïques de groupement humain, féodales, tribales et barbares, ont fait retour. Un mouvement de fond porteur de régression politique globale s’abat sur l’ensemble du monde Doit-on penser pour autant qu’il s’agit là d’une fatalité historique ? Non. La crise générale du capitalisme met plus que jamais à nu les facteurs destructeurs que recèle ce régime social, facteurs qui se manifestent par une aggravation des rivalités entre puissances et les menaces de guerre généralisée qu’elles déchaînent. La prise de conscience de cet état des choses pousse à la renaissance et la réorganisation des forces sociales capables de diriger le mouvement d’ensemble de la société, pour une finalité émancipatrice.

« Les hommes ne vivent pas seulement de pain » (ou de smartphones).

Ils ont besoin de perspectives

C’est dans ce contexte mondial troublé que se déroulent en France les élections présidentielles de 2017. On note à cet égard qu’aucun des principaux candidats et courants en lice ne se préoccupe de renouer avec les visées historiques des classes populaires, pas plus dans l’immédiat qu’en perspective historique. Les termes mêmes de classes ou de socialisme (en tant que régime social) sont rarement évoqués. Pour ne pas sembler fermés à toute ambition pour l’avenir, ils peuvent mettre en avant des objectifs de substitution, l’un se réfère à la « révolution numérique », un autre à « l’écologie », au « changement climatique » (voire à “l’écosocialisme”), d’autres encore prétendent remplacer la lutte de classes, par la lutte entre “cultures” ou religions. Au mieux, chacun s’efforce de mettre en cause « le système », vieux thème de la droite réactionnaire (souvent anti-gaulliste), qui ne vise que les tenants du régime politique en place (il est vrai à bout de souffle), et non le mode capitaliste de production lui-même, dans son fondement antagonique. Les postures “anticapitalistes” elles-mêmes entrent dans la logique de l’anti-système, celle-là même que déclinaient en leur temps les différents fascismes.

Confrontés à cette absence de perspectives, les électeurs, bien que toujours intéressés par la politique, ne savent plus s’ils vont voter, et, s’ils parviennent à se décider, ils se demandent pour qui, quels objectifs, ou s’il leur reste seulement à voter “par défaut” pour le « moins pire ». Comme certains le signalent : « on n’a plus rien à quoi se raccrocher », « c’est lamentable », « c’est triste », « on est au bout du bout ».

Ce qui fait défaut ne tient pas aux aspirations des classes populaires, ni aux rejets qu’elles peuvent exprimer à l’égard de “l’offre politique”, mais à l’incapacité des instances politiques à restituer la signification d’ensemble de la situation historique.

Si, dans ce qui tient lieu de sommet politique de la société, les références aux classes et à leur lutte sont absentes, il n’en est pas de même au sein de la population dite ordinaire, une certaine continuité de leurs cadres de pensée peut y être observée. En 2013, un sondage (IFOP) indiquait que le sentiment d’appartenance de classe avait un peu reculé (56%), mais qu’il était cependant peu différent de celui enregistré dans les années 60 (61%). Toujours en 2013, 64% des Français estimaient en outre que la « lutte de classes était une réalité » dans la société française, pourcentage en hausse par rapport aux années 60 (44%). Quant au jugement à l’égard du capitalisme, cette même année 2013, 80% estimaient qu’il fonctionnait mal, pour ne pas dire plus. Compte tenu de l’occlusion des perspectives historiques, plus de la moitié de la population estimait cependant qu’aucune alternative ne se dessinait pour mettre fin à ce régime, qu’il ne restait donc plus qu’à continuer à le subir.

Les présidentielles de 2017. Achèvement d’une longue phase historique de régression

Pour comprendre le point où nous en sommes arrivés, on peut essayer d’observer l’évolution des données socio-politiques en France, et, pour partie, dans le monde, depuis la Libération, ou depuis la constitution de la Cinquième République. La majorité des candidats en effet, si ce n’est tous, ne s’inscrivent plus dans le cadre de la conception relativement cohérente de la politique qui avait prévalu jusque dans les dernières décennies. Comme si nous étions parvenus à la fin d’un cycle de décomposition, ayant peu de chances de repartir en sens inverse.

Après guerre, dans la foulée de la reconstruction économique, une période de relative prospérité avait pu s’instaurer. Au plan politique, sous la Quatrième République, une fois de Gaulle “remercié” (en janvier 1946), on ne pouvait cependant parler d’unité au sein des différentes forces politiques. Chaque parti, chaque catégorie sociale, prétendaient tirer la couverture à soi. Seules alors, les orientations communistes (au plan mondial celles de l’URSS, au plan national celles du Parti Communiste), présentaient alors une orientation, des perspectives, ayant quelque consistance, face au « marais » des divers courants en rivalité. La perspective socialiste ne se présentait pas pour autant pour le capital comme un danger imminent en France. Beaucoup de catégories sociales, y compris populaires, pouvaient imaginer une possible amélioration de leur situation dans le cadre même du régime capitaliste, un mieux être, une ascension sociale. L’existence d’un pôle socialiste dans le monde contribuait d’ailleurs à ce relatif « partage du progrès », ne fallait-il pas assurer à la population des raisons de ne pas changer le régime social. Dans ce contexte, le changement des institutions politiques ne pouvait être réalisé “à froid”. C’est sous la pression d’une crise, d’un problème grave, que les institutions cahoteuses de la Quatrième République, purent, sous l’impulsion du Général de Gaulle, être dissoutes et remplacées par celles de la Cinquième République.

La crise, le problème grave, était celui-ci. Une partie du monde, notamment dans les territoires de l’Empire français, n’avait sans doute pas aussi largement bénéficié du même “partage du progrès”. Là, le virus émancipateur pouvait plus facilement se trouver mobilisé, parfois aussi se trouver “suscité”, manipulé de l’extérieur, par des puissances qui n’avaient pas bénéficié d’une repartage du monde en leur faveur. Les crises coloniales, plus spécialement la crise algérienne, contraignirent à la modification du régime politique, ce qui permit de mettre fin à l’état chronique d’instabilité politique. Dès lors, deux forces principales, canalisées par les nouvelles institutions, purent se constituer en deux pôles clairement définis : communisme et gaullisme. Sur la durée, chacun d’eux était à même de proposer des orientations et perspectives pour l’ensemble de la nation, principe d’orientation commun, qui, sur certains points, pouvait conduire à une certaine unité de vues. La Constitution gaulliste a conduit à structurer et pérenniser quelque temps cette double polarité, en même temps que la relative cohérence des projets en présence, les deux pôles en lice développant chacun un projet unitaire pour la nation.

Après la crise politique de 1968, liée à un contexte mondial de bouleversement politique et de crises larvées (crise qui devait aboutir à l’éviction du Général et à l’aggiornamento du Parti communiste), la polarité ne s’est maintenue qu’en effigie, en vertu des exigences du cadre constitutionnel. Dans un contexte économique dégradé, l’affaiblissement de la perspective socialiste, la forme polarique gaullisme/communisme, devait perdre de sa cohérence politique. L’alternative gaullisme / communisme — indépendance, modernisation de la nation contre perspective de mettre fin au capitalisme — s’est affadie en opposition “molle”, plus ou moins factice dans les faits : une droite / gauche qui avait abandonné les repères qui faisaient sa cohérence. Les références des deux camps ne se maintenaient que dans la lettre, non dans l’esprit. En apparence, le paysage électoral semblait présenter les mêmes contours.

Avec la désagrégation interne du pôle communiste (mondial et national), puis la fin de l’URSS, et les perspectives à laquelle ils avaient donné corps, c’est l’ensemble de la structuration politique qui devait finir par se trouver désagrégée. On peut y ajouter la progressive entrée, avec de moins en moins de réticences, des différents partis, dans le processus de “construction européenne”, pour partie destiné à contrer la puissance soviétique. Le processus “ européen” ne révélait lui-même qu’une fuite en avant, face à des contradictions sociales non maîtrisées. Avec l’épuisement de toute perspective socialiste, avec la décomposition des orientations du parti communiste, la gauche finit par se résumer au seul parti socialiste, parti fort en apparence, mais qui, avec son partenaire-adversaire, le communisme, avait perdu tout ce qui en faisait la consistance historique. Avec la dissolution d’un projet communiste, la “gauche” ne pouvait que se décomposer. Corrélativement, il en fut de même à l’autre bord, de ce qui restait de gaullisme (ou d’une droite visant un minimum d’intérêt général de la nation). La dernière manifestation, à droite, d’un projet pour la nation, fut-il englué dans le magma européen, fut sans doute pour partie maintenu au cours du quinquennat de Sarkozy. À gauche, les projets de ce type n’avaient plus de raison d’être, il ne demeurait plus que des quêtes purement clientélistes.

La mise en place de primaires en 2011-2012 du côté socialiste, a constitué un symptôme de cette décomposition de la structuration politique. La nécessité de se conformer aux institutions de la Cinquième République avait jusque là maintenu l’apparence d’une polarité droite/gauche. C’est à gauche que l’on renonça le plus vite à ces dernières apparences : abandon de tout programme unitaire s’inscrivant dans la durée, mise en place de primaires manifestant cet abandon, rivalité entre programmes de clans pour leurs clients respectifs, programmes-catalogues bouclés dans les six mois (au mieux), donnant libre cours aux multiples divisions internes (comme sous la Quatrième République). Et, par suite, coupure totale avec les besoins de la nation et les volontés de la population. S’il y eut une brève tentative à droite de reconstruire une certaine unité au sein du Parti (Les Républicains), cette tentative prit fin avec les primaires de la droite en 2016. Ce nouveau symptôme de décomposition politique s’est manifesté par l’incapacité à proposer des orientations ou des programmes unitaires.

Au regard de ce processus, les diverses candidatures de Fillon, Melenchon, Hamon, et sans doute aussi de Marine Le Pen, semblent encore s’inscrire au regard d’une polarité ancienne, voulue par la constitution gaullienne, mais qui n’a plus de consistance réelle, qu’il s’agisse de rejeter le principe de cette constitution, comme si d’elle venait tout le mal (une Sixième République pour Melenchon, Hamon), ou qu’il s’agisse de rejeter en bloc les débris des deux membres de l’ancienne polarité (Marine Le Pen). La candidature de Macron s’inscrit sans doute aussi dans ce processus de décomposition, à son aboutissement, dont il est pleinement pris acte, sans retour. La partie est jouée, on ne peut plus revenir à l’époque bénie où l’on pouvait imaginer pouvoir se déchirer en rond, sous la protection tutélaire d’une République bienveillante, sinon toujours prospère.

Dans un tel contexte, l’abstentionnisme, le rejet par la population des personnels et partis politiques, la difficulté à se prononcer pour l’un ou l’autre des candidats, ne résulte pas d’un apolitisme de la population, mais de l’absence de tout repère et de toute orientation cohérente [1]. On se trouve réduit à se déterminer par des on-dits, des rognes, ou quelque espoir fallacieux si ce n’est en un « sauveur », du moins d’un personnage solide, si possible intègre, qui permettrait au pays de surnager encore un peu dans le maelström qui nous submerge. « Encore un petit moment Monsieur le bourreau. »

Se dégager de l’enlisement.

Renouer avec les perspectives historiques de l’émancipation sociale

De siècle en siècle, de décennie en décennie, les classes populaires, les sociétés dans leur ensemble, se sont trouvées soumises aux convulsions destructrices du mode capitaliste de production, qui aujourd’hui, dans la totalité du monde, se manifestent dans leur brutalité originaire. Dans un pays comme la France, elles sont encore tenues en lisière. Il serait toutefois illusoire d’imaginer que l’on puisse échapper aux effets, encore à venir, de cette nouvelle et durable poussée de crise. Pour faire face à la reviviscence dévastatrice de périls (déjà survenus dans l’histoire), il ne faut pas imaginer un capitalisme miraculeusement “humanisé” (sans qu’il y soit contraint par un puissant mouvement unitaire des peuples). On ne peut pas davantage rêver dans l’immédiat à la survenue d’une révolution effectivement sociale. Les révolutions ne tombent pas du ciel, pas plus qu’elles ne surgissent d’une effervescence irréfléchie, du mouvement spontané de populations désorientées. Pour que les classes populaires puissent ressaisir l’initiative, et orienter la lutte de toute la société pour l’émancipation sociale, la priorité du jour est de se dégager du marécage politique dans lequel elles ont été enlisées, et pour cela de travailler à reconstruire leurs repères, leurs perspectives historiques, leur organisation. C’est à cette tâche que s’est attaché Germinal.

Pour contribuer à reconstruire l’unité de lutte des classes populaires, soutenez, rejoignez Germinal.

 

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Notes    (↵ Retourner au texte)

  1. 1. On se trouve dans une situation, où les repères anciens n’ont plus d’expression publique, même plus de “canada dry”, et plus de repères nouveaux publiquement exposés, ne serait-ce qu’en gestation. La question des générations (au sens historique) joue ici un rôle.. Ainsi, pour les moins de quarante ans, l’idée d’une perspective socialiste (quel qu’en soit le terme), n’a plus de consistance, ni même le souvenir d’une consistance. Pour les plus âgés, certains se sont toujours accommodés du capitalisme, ils espèrent encore pouvoir en tirer quelques profits, une perspective socialiste, même publiquement posée, susciterait chez eux une attitude de rejet.

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