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Comment je suis venu à la politique

Des questions touchant la vie d’un homme d’un âge certain imposent une méditation sur le sens qu’a pu prendre sa vie. Il est temps aujourd’hui que je m’en préoccupe, en m’efforçant de discerner ce qui, dans mon parcours et ma prise de conscience, a relevé de ma propre volonté et ce qui dépendait du contexte, des circonstances, des situations vécues, pour partie indépendantes de choix délibérés.

Mon cheminement politique est une question qui, pour ce qui me concerne, est centrale à plus d’un titre, puisque, encore aujourd’hui, je consacre à la politique une bonne partie de ma vie. Comment en suis-je arrivé à ce que cette flamme éclaire mon âme et ma conscience ?

Lorsque j’étais gamin, je voyais ma mère trimer pour nous élever, ma sœur et moi . Elle occupait à l’époque deux emplois, l’un dans le textile comme ouvrière, puis employée en restauration collective, l’autre comme femme de ménage. Ceci, pour dire, que la journée de labeur se terminait dans la soirée. Je la vois encore laver à la serpillère le sol des bureaux,  enlever la poussière, et ma réaction était de l’aider à nettoyer le sol. J’ai au moins appris à faire cette tâche. Je me souviens de cette servitude, j’y voyais une certaine injustice et je comprenais qu’elle le faisait pour nous. Mon père, lui, travaillait en tant que chef d’équipe dans une usine de fabrication de carrelage et il participait le soir à faire le ménage avec ma mère.

Je crois que le sentiment d’injustice c’est ce qui m’a d’abord marqué. Puis au fil de la vie, au collège d’enseignement technique, où je préparais un CAP d’aide comptable, un mouvement de grève des collégiens eut lieu. Je me souviens de ma participation à ce mouvement, mais je participais sans vraiment connaître ses tenants et ses aboutissants, je ne sais d’ailleurs plus aujourd’hui qu’elles en étaient exactement les motifs.

À une échelle plus large, Mai 68 a apporté son concours à mon intérêt pour la société dans son ensemble et pour les questions politiques. Non pas lors de l’événement lui-même, je n’avais que douze ans, mais plus tard quand j’ai commencé à chercher à comprendre les ressorts d’un tel événement. À cette époque, ma curiosité prenait une forme un peu plus développée, mais elle fut peu satisfaite. Je lisais des livres sur le sujet sans vraiment bien saisir les causes de ce mouvement, et sans d’ailleurs trouver d’analyses satisfaisantes. Je disposais alors moi-même de peu de moyens théoriques et historiques pour saisir la place de l’événement, mais le processus était en cours.

En 1972, j’avais seize ans, mes parents divorcèrent. Ce bouleversement familial a dû jouer un rôle, mais lequel ? Je suis encore incapable aujourd’hui d’en saisir la portée, ce que je savais c’est que les choses ne seraient plus comme avant.

Quelques années plus tard, en 1976, ce fut l’armée, le service militaire. J’y fis mes premières armes politiques, pas forcément les bonnes quand j’y repense aujourd’hui. J’étais encore un “candide”. Bien que je ne refuse pas la discipline et la hiérarchie, c’est l’humiliation vécue qui m’inclina à participer à un comité de soldats pour rendre plus “humaine” la condition militaire des soldats. J’étais incorporé en Allemagne et nous publiâmes, mes camarades et moi, un petit journal que diffusaient de jeunes Allemands à la sortie des casernes, sur le chemin de la gare que nous empruntions pour prendre le train lors des permissions accordées. Avec le recul aujourd’hui, cette action politique qui me semblait légitime, utilisait sans doute nos ressentiments, pour une autre cause que la nôtre. À cette époque, les intérêts de l’Allemagne dans sa volonté de redevenir une puissance libérée de la présence militaire des alliés sur son sol, pouvaient “coïncider” avec notre rébellion.

Ces premières armes, ont précédé un militantisme syndical où je me suis engagé après mon retour de l’armée. Je travaillais alors dans une entreprise de taille moyenne en tant qu’employé de bureau. J’observais qu’il existait une certaine injustice entre ceux dont le salaire était bien plus conséquent et celui des employés comme moi. Il me semblait qu’il y avait une inégalité qui n’était pas nécessairement justifiée par des mérites particuliers. Les années passant, je me suis rendu compte que l’action syndicale ne me suffisait pas. Souvent elle se bornait à des objectifs sociaux d’assistance, à des revendications culturelles, voire consuméristes, des actions commerciales, touristiques, qui ne pouvaient modifier le fonds des choses. Mais ce qui me déplaisait aussi était de voir que des représentants syndicaux agissaient souvent pour leur bien personnel. Illusion peut-être, déception plus encore, la perception des ces insuffisances et défauts me conduisaient à concevoir la nécessité d’une compréhension et d’une action plus générales, d’ordre politique. Mais vers quoi se diriger, quelle orientation trouver ? Je n’avais pas de réponse.

Le poste de travail que j’occupais m’ennuyait, et malgré l’attention de mon chef de service (je l’en remercie) qui me proposait des postes plus attrayants par la diversité des tâches à accomplir, j’ai décidé d’aller voir ailleurs, et je m’y suis préparé. C’était une période, il faut le reconnaître favorable, car j’ai pu obtenir quelques aménagements pour suivre une formation universitaire qui m’a permis d’aborder des questions sociales, politiques, économiques et même historiques. Au final, après une licence de sociologie, j’ai obtenu un DEA (Diplôme d’Études Approfondies) en philosophie politique. Il n’est pas inutile de savoir que l’entreprise qui m’employait connaissait des difficultés ou les anticipait, difficultés économiques non encore visibles de façon flagrante pour moi à ce moment, ce qui explique en partie les facilités qui m’ont été accordées. En 1987 je fus ainsi licencié pour des raisons économiques, sous le prétexte que par le niveau des études que j’avais atteint, il me serait plus facile de retrouver un emploi. Voilà donc, j’étais dans la première charrette, je me retrouvais à la rue, je n’avais pas vu sous cet angle cette expérience de formation, qui anticipait sur mon intention de quitter cette entreprise pour d’autres aventures.

C’est au cours de cette période “propice ” que ma conscience politique s’est affermie. Même si les prises de position politiques de beaucoup des étudiants que je côtoyais me semblaient plus ou moins futiles et détachées des réalités et des préoccupations des classes populaires, cette insertion me donna à percevoir de façon plus large les problèmes de l’ensemble du monde. Un des révélateurs déterminants fut pour moi associé aux événements qui se sont déroulés au Chili en septembre 1973, date du coup d’État militaire qui rejeta du pouvoir politique tout un mouvement populaire, je dirais “socialiste” pour aller vite et sans entrer dans le détail. Nombre de réfugiés politiques chiliens s’installèrent alors en France, certains m’ont exposé les conditions de la lutte du peuple chilien. Par le biais de conférences, de débats, par la participation dans un groupe de sympathisants lié à un mouvement de la gauche révolutionnaire chilienne, a commencé à se forger, tant bien que mal, une ouverture politique plus large sur le monde et ses luttes. Je me souviens, cela est resté gravé dans ma mémoire, d’un discours du président chilien, Salvador Allende, prononcé avant le coup d’État. Celui-ci, s’adressant à des ouvriers, mettait l’accent sur le rôle crucial du travail productif, source de richesse et de valeur pour toute la société.

Par ces rencontres, j’ai abordé la question du socialisme de manière incomplète et dispersée, voire même un peu fausse, mais de premiers jalons, de premiers repères se mettaient en place. Un autre facteur intervint, je dirais que ce fut le plus déterminant. Je vais parler de ma rencontre avec le journal Germinal, rencontre rendue possible par l’intermédiaire des activités “chiliennes” que je menais alors. Ce fut un coup de foudre, une révélation. Dès les premières lectures je compris qu’il fallait que je m’engage dans cette voie, il y avait comme une coïncidence, j’étais arrivé à un niveau de conscience encore embryonnaire, l’élévation politique je la trouverai en ce journal éducateur.

Depuis lors, je participe au mieux de mes possibilités, de mes disponibilités, à forger et diffuser des contenus qui permettent aux classes populaires d’élever leur conscience, comme je m’efforce d’élever la mienne, afin que le peuple se dote des moyens de maîtriser son devenir. Lors de chaque parution, les études des articles de ce journal me permettent de développer des connaissances, et d’en acquérir par moi-même en fonction de repères clairs, de saisir mieux les conditions historiques dans lesquelles se déroule aujourd’hui la lutte des classes populaires, de dégager les perspectives de cette lutte. Après bien des années, toujours avec cette volonté qui m’anime, malgré des moments difficiles, les doutes qui peuvent nous assaillir, car nous traversons une période historique de recul, je sais qu’il faut tenir, qu’il faut continuer ce travail pour que le peuple se trouve dans les conditions de reprendre l’initiative historique, de sortir des impasses et des crises destructrices que le régime production marchand capitaliste produit sur la base de ses propres contradictions.

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