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Chantal Mouffe. Dissidence de transfuges de la classe bourgeoise contre le “privilège ontologique” de la classe ouvrière

Chantal Mouffe est une éminente représentante du courant d’idées, qui, depuis une cinquantaine d’années, vise à “déconstruire” les repères du mouvement ouvrier et populaire. Son projet politique déjà ancien s’énonce dans l’un de ses ouvrages, Hégémonie et stratégie socialiste (1985), co-écrit avec le citoyen argentin, Ernesto Laclau. Ce courant d’idées a plus ou moins profondément “imprégné” de nombreuses organisations et idéologies se réclamant de la “gauche”, en Amérique latine notamment, mais aussi en Europe par exemple Podemos en Espagne, Les Insoumis en France.

L’auteur ne vise pas à résoudre les contradictions inhérents au mode de production capitaliste, elle propose seulement une «  alternative à la société néo-libérale  », alternative qu’elle pourrait nommer socialisme, à condition que ce “socialisme” se construise d’abord, dans une perspective “post-marxiste”, tout à la fois contre le projet communiste et le projet social-démocrate, au profit des «  luttes nouvelles  » montées en puissance depuis 1968. Le propos est clair. Le projet alternatif s’oppose à toute prééminence du mouvement des classes prolétariennes et, par conséquent, au rôle que le marxisme leur confère dans la résolution des antagonismes du capitalisme. Ainsi selon l’auteur,

 

«  [Les] luttes nouvelles ne pouvaient pas être interprétées en termes de lutte classes.  »

 

Chantal Mouffe ne prétend pas mettre ouvertement en question l’existence d’antagonismes liés à l’économie et aux rapports de production, ceux-ci se présentent seulement comme accessoires. Ils ne sont pas considérés comme à même de définir le substrat social des différentes classes. Admettre que les classes relèvent de rapports sociaux objectivement définis reviendrait à poser un “essentialisme” de classe.

 

«  Ce que nous avons remis en question avec Laclau […] c’est la métaphysique marxiste du progrès et du privilège [sic] ontologique de la classe ouvrière.  »

 

Dans l’immédiat, Chantal Mouffe se garde toutefois de remettre frontalement en cause ce “privilège ontologique”. Tout en subvertissant le sens des mots, elle s’efforce de maintenir quelques repères du vocabulaire “marxiste”, et des “anciens mouvements sociaux”. Ainsi, les mots peuple, gauche, socialisme, égalité, justice, démocratie, peuvent continuer à servir d’étendard, pour peu qu’on en épure le contenu social. On reste dans le flou ou bien on transforme la signification des mots.

Pour «  construire  » un nouveau peuple, un nouveau “nous” hors des intérêts de classe, les critères de regroupement doivent demeurer imprécis. Le nouveau peuple, “nous” informe, est une “construction” sans fondations, il ressort du seul vouloir de ses commanditaires, en vue de finalités indéfinies.

 

«  Le “nous” en politique n’existe pas avant sa construction.  » «  Dans tous les cas le “nous” et le “eux” ne sont jamais la représentation d’intérêts qui existent déjà.  »

 

L’unité du nouveau peuple ne peut ainsi se constituer en fonction d’intérêts et de perspectives communes (économiques, sociales). Du fait qu’on s’efforce d’amalgamer les intérêts et visées contradictoires qui le traversent, il ne peut pas être effectivement uni. On imagine seulement pouvoir «  fédérer  » des souffrances et des frustrations, indépendamment des intérêts sociaux en jeu.

 

«  Toutes les luttes qui existent ne convergent pas naturellement.  » «  Il est important de fédérer un ensemble de demandes hétérogènes qui peuvent entrer en conflit les unes avec les autres, pour créer une volonté collective.  » «  [Mais] dans la mesure où «  le peuple” est hétérogène”, il faut un principe articulateur pour les fédérer.  »

 

Qui va définir ce principe  ? Comment faire pour fédérer ce cartel de mécontents, non socialement situés, et sans «  privilège ontologique  »  ? Par la remise au goût du jour de très vieilles recettes  : en premier lieu ne pas miser sur la raison (seule réellement capable de “fédérer” en vue de dégager un bien commun). Chantal Mouffe mise sur les émotions, les passions, les “affects”. Et pour conférer une apparence d’unité à ces passions, ces affects, nécessairement discordants, elle travaille à dénicher la perle rare  : un “leader charismatique” qui condenserait ces émotions en exaltation irrationnelle.

 

«  La dimension affective est très forte car les affects ont un rôle central dans la création d’un “nous”.  » «  Dans la plupart des cas, la personne d’un leader joue un rôle important. Elle permet au “nous” de se cristalliser autour d’affects communs, de s’identifier à un signifiant hégémonique.  »

 

On conçoit que pour parvenir à cette “identification”, il faut rejeter toute conception de la démocratie se fondant sur la capacité politique du peuple. Comme le signalait Rousseau, la capacité à se prononcer sur le contenu de la volonté générale, ne peut en effet se construire qu’en donnant toute sa place à un développement de la conscience, elle suppose un peuple institué en sujet, ayant accédé à sa majorité politique. Chantal Mouffe oppose à cette conception de la démocratie (pouvoir effectif du peuple) l’idée d’une démocratie radicale, non délibérative. La délibération n’a-t-elle pas pour vice essentiel de faire appel à la raison. Radicale, cette démocratie sera transversale, fondant la pseudo unité du “nous” sur des revendications “sociétales”, aptes à faire communier bourgeois et prolétaires, en dépit du fait que ces classes s’opposent dans leur “essence” sociale. 

Quel est le but de cette démocratie transversale  ? Ici le discours est peu explicite. On apprend qu’il est question de changer «  les rapports de pouvoir  ». S’agirait-il de substituer au pouvoir en place un «  leader charismatique  » avec ses vieilles et jeunes gardes  ? Cela est plus que suggéré. Il n’est pas question de s’attaquer à la racine des rapports sociaux capitalistes, plutôt de viser une prise de pouvoir pour “occuper la place” sans mettre fin aux rapports capitalistes. Ce que l’on peut traduire de façon lapidaire par la formule «  Dégage  !  ».

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