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Histoire du Parti communiste bolchevik – 1895-1900 : une nouvelle étape

Dans le précédent numéro de Germinal, on a retracé les toutes premières ébauches de la formation d’une organisation communiste en Russie, de 1880 à 1895. Dans ce numéro, seront présentées les cinq années suivantes, qui aboutissent à la constitution, encore formelle, d’un parti pour toute la Russie. En rappelant les étapes de cette formation encore embryonnaire, on a voulu insister sur le fait que la création d’un parti indépendant pour les classes populaires ne résulte pas d’un simple décret, qu’il se constitue dans la durée, au travers de luttes théoriques et pratiques, par un processus difficile d’avancées et de reculs, et que ce processus peut être mené à son terme si l’on ne « perd jamais le fil », celui des intérêts des classes populaires comme celui de la théorie marxiste qui dresse des perspectives pour leur lutte historique.

A partir de 1894 plusieurs unions ouvrières s’étaient constituées dans plusieurs régions de Russie. Sous l’impulsion de Lénine, dirigeant reconnu des marxistes de Petersbourg, les cercles marxistes de cette agglomération se regroupent aussi en une seule organisation « l’Union de lutte pour la Libération de la classe ouvrière ». Cette union devait jouer un rôle essentiel dans la création d’un parti ouvrier révolutionnaire, elle constituait, selon Lénine « le premier embryon sérieux d’un parti révolutionnaire s’appuyant sur le mouvement ouvrier ». Sa tâche principale fut de lier plus étroitement les orientations du marxisme au mouvement de masse et d’assumer la direction politique de ce mouvement. De la propagande marxiste auprès d’un petit nombre d’ouvriers avancés, on passait à un travail d’agitation politique large.

L’industrie avait connu en Russie une période d’essor, le nombre des ouvriers augmentait, un fort mouvement gréviste s’était développé durant ces années, confirmant l’idée, rejetée par les Populistes, que la classe ouvrière devait jouer un rôle d’avant-garde dans le mouvement révolutionnaire. C’est pourquoi l’éducation politique des ouvriers constituait un objectif central pour « l’Union pour la libération de la classe ouvrière », celle-ci travaillant à rattacher les revendications d’ordre économique à la lutte politique contre le tsarisme, elle dirigea de grandes grèves de masse. Ainsi, commençait à se réaliser en Russie la fusion du socialisme avec le mouvement ouvrier.

En raison de son activité au sein de cette organisation, Lénine et ses compagnons furent arrêtés par la police tsariste. De nouveaux dirigeants se mirent à la tête de l’Union de lutte. Ils se donnaient le nom de « jeunes » et qualifiaient Lénine et ses compagnons de « vieux », défendant une ligne contraire aux premières orientations. Ils voulaient que les ouvriers se limitent à la lutte « économique » contre les patrons, réservant le combat politique à la bourgeoisie libérale. On donna à ce courant le nom « d’économistes », celui-ci joua un rôle de frein dans le développement de la lutte révolutionnaire.

Lutte contre le « populisme » et le « marxisme légal »

Les courants populistes qui ne voulaient pas reconnaître que le rôle principal dans la révolution revenait à la classe ouvrière, avaient été combattus par les premiers marxistes russes (Plekhanov notamment), mais ce courant influençait encore la jeunesse révolutionnaire. Les populistes s’efforçaient par tous les moyens d’empêcher le travail des marxistes, cherchant à les déconsidérer, en altérant à dessein leurs conceptions. Pour permettre la constitution d’un véritable parti révolutionnaire, ces courants devaient être combattus au plan des idées. Cette tâche fut menée à bien par Lénine, dans une brochure Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les sociaux-démocrates. Il y établissait que les populistes étaient de « faux amis » du peuple, qui avaient abandonné la lutte contre le gouvernement tsariste et soutenaient à la campagne les koulaks (paysannerie s’orientant vers le capitalisme, exploiteurs des paysans pauvres). Dans sa brochure, Lénine posait la nécessité d’une alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, mais aussi la nécessité de l’organisation en un seul parti des cercles dispersés. Il établissait clairement que seuls les marxistes visaient à supprimer l’oppression des capitalistes et des grands propriétaires fonciers. Dans d’autres ouvrages rédigés à cette époque, il critiquait la tactique de la terreur individuelle du groupe de la Narodnaiä Volia (Parole du peuple), qui nuisait à la lutte de classes populaires. Conduit de façon persévérante, sur une dizaine d’années, ce combat aboutit à la déroute idéologique du populisme.

Comme cela arrive toujours dans l’histoire, face à la montée des mouvements sociaux, de nombreux intellectuels se déclaraient alors « compagnons de route » du mouvement en cours. Quand le marxisme se développa largement en Russie, certains voulurent aussi s’affubler de l’habit marxiste. Sous le drapeau du marxisme, ils luttaient à leur façon contre le populisme, mais dans le but d’adapter le mouvement ouvrier aux intérêts de la société bourgeoise, rejetant ainsi la possibilité pour la classe prolétarienne de diriger le processus révolutionnaire. Ils estimaient qu’on devait d’abord se mettre « à l’école du capitalisme ». Des ententes provisoires furent cependant conclues avec ces « marxistes légaux » dans la lutte contre le populisme.

Première tentative de création d’un parti et nécessité de surmonter « l’économisme »

Dans ce contexte, plusieurs unions locales travaillaient à se grouper en un parti à l’échelle de la Russie (le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie – POSDR). En 1898, le premier Congrès ne réunit que neuf délégués, Lénine était alors déporté en Sibérie et ne put y assister. Un Manifeste fut lancé, il ne parlait pas de la nécessité de la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, du rôle dirigeant qu’il devait jouer, ni de l’alliance avec les paysans. Ce « parti » n’avait pas de statuts, pas de programme, ni de ligne commune, toutefois l’acte formel de sa création joua un grand rôle dans l’idée d’une unification nécessaire.

Dans les organisations locales cependant, la confusion idéologique grandissait, favorisant un renforcement du courant opportuniste des « économistes ». Il fallut plusieurs années de travail intense, et le rôle joué par le journal l’Iskra (l’Etincelle), pour vaincre ces courants, pour grouper et lier entre elles les organisations marxistes disséminées. Déporté en Sibérie, Lénine y poursuivait son activité révolutionnaire. Son travail d’analyse théorique des rapports économiques et de l’évolution des forces de classes en Russie (le Développement du capitalisme en Russie) fut d’un grand secours pour l’accomplissement de cette tâche. Il acheva la déroute idéologique des populistes. Sur cette base, les tâches des révolutionnaires en Russie pouvaient être clairement définies, et les conceptions erronées des « économistes » combattues. Les « économistes » prétendaient en effet que les ouvriers ne devaient mener que la lutte économique, et devaient constituer une force d’appoint pour la lutte politique la bourgeoisie libérale. En conséquence, ils s’opposaient à la constitution d’un parti indépendant de la classe ouvrière. En relation avec des courants opportunistes similaires dans plusieurs pays d’Europe (les « bernsteiniens »), leur influence était puissante.

Ce fut avec la création de l’Iskra, que la lutte contre « l’économisme » et pour la création d’un parti prolétarien indépendant fut menée à bien. La publication d’un journal illégal pour toute la Russie se présentait alors comme une tâche essentielle. En 1900, une relation fut établie à l’étranger pour l’édition du journal, avec le groupe « Libération du travail » (Plékhanov, Véra Zassoulitch, Axelrod). La publication des premiers numéros de l’Iskra (1900-1901) marqua la transition à une nouvelle période : la formation effective avec les groupes et cercles dispersés d’un Parti ouvrier unique de Russie.

Pour connaître la suite, se reporter à l’Histoire du Parti Communiste Bolchevik de l’U.R.S.S.

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