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Témoignage : Comment je suis venu à la politique

Sur une mer d’huile

Pour expliquer comment je suis venu à la politique, il faut que je remonte loin, c’est à dire à mes premiers souvenirs d’enfance. Et la meilleure image qui me vienne à l’esprit est celle d’un voilier, naviguant sur une mer calme. Mes parents en étaient les pilotes, ma sœur et moi, les passagers, insouciants et confiants, tant dans l’embarcation que dans ceux qui la dirigeaient. Une enfance heureuse donc. Mon père était ouvrier dans une grande entreprise, qui devait dans les années 80 employer 300 personnes. Ma mère était secrétaire médicale. Tous les deux sont issus de familles paysannes. Très tôt, j’ai été élevé dans la religion chrétienne. Je ne parle pas d’une simple tradition qu’on traîne de génération en génération sans vraiment savoir pourquoi. Ma mère, ma sœur et moi priions tous les soirs devant le portrait de la Sainte vierge. Nous allions tous les dimanches à la messe et le mercredi au catéchisme. La première communion et profession de foi étaient de rigueur. Mon père restait en dehors de tout ça, il était plus critique sur tout ce qui se rapportait au « bon Dieu ».

J’ai donc “naturellement” commencé le catéchisme vers l’âge de six ans. Un prêtre nous enseignait la parole du seigneur, aidé par des bénévoles de la paroisse, dont ma mère. Même si mon jeune âge ne me permettait pas de tout comprendre, des idées simples se fixaient rapidement dans mon esprit : celle de « bien » et de « mal », de « bon » et de « mauvais ». Un chemin mène l’homme vers Dieu et la vie éternelle, l’autre vers le diable et les enfers. Un jour nous devions faire un jeu. Sur un grand drap blanc qui devait servir à une célébration, nous devions coller des images découpées dans différents magazines. D’un côté, ce qui est « bien » sur terre et conforme à la volonté du seigneur, de l’autre ce qui est « mal » et qu’il faudrait changer. J’ai donc ouvert les magazines et découpé des images qui m’interrogeaient : un enfant affamé dans les bras de sa mère, une vieille dame les mains au ciel dans un décor de guerre, une jeune femme rouée de coups par un mari alcoolique… En fait ces images m’ont plus qu’interrogé, leur violence m’a frappé en pleine poitrine. Et se trouver sans explication devant ces scènes horrible m’a troublé profondément. Tout a commencé ici.

Prémisses d’une tempête

Ma scolarité a toujours été lamentable, je “nageais” au fond de la classe. Je devais tricher tous les troisièmes trimestres pour passer péniblement en classe supérieure. Ça créait beaucoup de tension avec mes parents qui n’imaginaient pas une orientation vers un BEP. Au même moment chez moi, le cadre se relâchait. L’usine où travaillait mon père allait peut-être fermer. L’incertitude et la peur ont assailli le navire. Le licenciement a fait embarquer avec lui l’alcool puis la dépression. Ma mère faisait comme elle pouvait pour soutenir mon père. Elle suivait de moins en moins ma scolarité et j’en profitais pour commencer à mener ma propre barque. Je voulais gagner ma vie et fuir rapidement les cours. Je détestais les profs, les premiers de la classe, tout ce qui se rapportait à la culture et ceux qui travaillaient dans des bureaux avec leurs ongles bien propres. Je voulais travailler dans l’industrie comme mon père.

J’ai commencé un apprentissage en alternance dans une petite usine de cinq employés. Les tâches que j’effectuais étaient simples et rébarbatives. Je gagnais un cinquième du SMIC, alors même que mon patron touchait des aides et que je fournissais le même travail que les autres. Tous les midis, je mangeais dans le vestiaire avec Maurice, quarante cinq ans. J’aimais bien Maurice, il me parlait de son jardin, des études de sa fille et de ce boulot qui le « gonflait ». Il avait des mains énormes et le dos voûté. Après avoir mangé, il s’allongeait péniblement sur son banc. Le verre de rouge et la fatigue faisaient le reste. Je me posais beaucoup de questions en le regardant : est-ce que je vais finir comme lui ? Pourquoi le travail abîme-t-il autant ? Pourquoi faut-il travailler si dur pour avoir à peine de quoi vivre ? Mais surtout je me demandais si un ouvrier et un patron étaient égaux ?

Dans le christianisme, la question de l’égalité est importante et ça l’était également pour moi. Plus jeune, j’avais demandé comment un ouvrier et un patron pouvaient être égaux puisque l’un travaillait pour l’autre ? On m’a répondu que c’était parce que le patron « donnait du travail à l’ouvrier », et que l’ouvrier, en échange, acceptait de donner une partie de son travail au patron. Cette réponse m’a convaincu quelques années, tant que sa naïveté ne m’était pas révélée. Maurice ne disposait que de son salaire, une part du produit de son travail. Mon patron disposait de tout le reste. Je ne voyais pas quelle égalité trouver là dedans. Encore moins comment l’accepter sans broncher.

En pleine tempête

L’année se terminait mal. Je suis parti dans une autre entreprise mais ça ne se passait pas mieux : des conditions de travail toujours plus dures, un métier que je n’apprenais toujours pas. Mais surtout des “Maurice” dans cette boîte, il y en avait un paquet. Ils rentraient dans l’usine comme ils en sortaient, le visage fatigué et les membres las. Alors je les regardais et ça me donnait envie d’exploser. J’aurais aimé les secouer, leur ouvrir les yeux, trouver les mots justes pour qu’ils comprennent. Mais comprendre quoi ? En fait, je ne savais pas trop, je n’étais pas sûr moi même. Pourquoi doit-on mener cette vie là ?

En fin de contrat je suis parti. De toute façon je n’étais pas accepté en BAC pro. J’ai arrêté les études, essoufflé avec un point de côté. Je ne voyais que deux options, soit je m’engageais dans l’armée, soit je partais loin de la France avec un ami d’enfance pour vivre de « pêche » et de « repos ». En fait, j’étais complètement paumé et j’allais m’enfoncer pour quelques années dans la drogue et l’alcool, « ma brume et ma houle ». Dans le même temps, je décidais de travailler quelques mois dans l’usine de mon père, elle venait d’être rachetée, histoire de voir dans quelle direction le vent allait tourner. Celui-ci ne changea pas de direction. Je n’ai pas été pris dans mon régiment et mon ami, n’attendant plus après moi, s’est acheté son camion et “vit” toujours dedans. Je me retrouvais à dix-huit ans, là où je m’étais juré de ne plus mettre les pieds, à l’usine.

A l’horizon, la lumière d’un phare

Le travail en 3×8 était épuisant, abrutissant. On y rentrait comme des hommes, on en sortait comme des bêtes. Je passais mon temps libre à dormir ou traîner dehors avec les potes. Dans l’atelier, c’était comme à l’extérieur : les mêmes moyens pour tenter de “s’évader”, les mêmes discussions sur les femmes, le foot, de ce qu’on fera lorsqu’on aura gagné au loto. Tout ça, ne sentait pas l’épanouissement. Il fallait que je me trouve une occupation ou je ne ferais pas long feu. Un pote qui savait que je faisais un peu de rap dans mon coin, m’a dit qu’il y avait une activité à la MJC du coin. J’y suis allé. Ce jour-là, en ouvrant cette porte, c’est un gouvernail que j’ai trouvé.

J’ai rencontré l’animateur de l’association. Il avait cinq ans de plus que moi et il avait un air posé. Je lui ai dit que je voulais apprendre à faire de la musique. Il m’a répondu :

— Ok, pas de problème ! Mais en échange il va falloir que tu écrives !

— Ah bon ? J’ai rien d’exceptionnel à raconter moi !

— Tu travailles en usine, non ?

— Ouais…

— Et bien j’suis sûr qu’il y a plein de truc à écrire !

J’étais venu pour me défouler, vider mes tripes. Il allait m’encourager à me remplir la tête. Tous les vendredis, après le rap, nous rentrions donc dans de longues discussions sur le travail, la famille, la religion… et surtout la politique. Ce gars était un « remueur d’idées ». C’était même agaçant. Vous pensiez avoir une juste idée des choses, longuement pesée, méditée et lui en une soirée venait ébranler vos certitudes. Je me doutais que toutes ces idées ne lui étaient pas tombées du ciel. Doucement mais sûrement, il me passait des livres. Il me fallait des mois pour les lire. D’une part, parce que j’étais réticent à l’idée de lire un bouquin et d’autre part parce qu’au bout de vingt pages, j’étais complètement épuisé et n’arrivais plus à me concentrer. J’aimais pourtant ces bouquins parce qu’ils parlaient de gens comme moi, des ouvriers, ceux d’en bas et je ne pensais pas qu’un intellectuel pouvait se soucier de ce que je vivais et encore moins qu’il était capable d’en parler plus justement que je ne l’aurais fait.

Un beau jour, l’animateur m’a filé Germinal. C’était compliqué mais je me forçais à le lire, à chercher les mots dans les dictionnaires et le sens dans nos discussions. Je prenais plaisir à comprendre les choses, surtout parce qu’elles demandaient un effort. Je traînais de moins en moins, j’avais maintenant des petits projets d’albums avec le collectif. Je me suis aussi impliqué (un peu poussé) dans la vie associative de la MJC. J’ai essayé de rendre la relation avec ma copine plus sérieuse, et puis j’ai commencé à participer à des petits groupes constitués pour étudier les articles de ce journal : on y travaillait des questions politiques, philosophiques…. Toutes ces choses se nourrissaient les unes des autres, elles me rendaient sérieux. Pourtant rien n’était gagné, chaque minute attaché à ma machine, à ma « brume et ma houle », à mes anciennes relations risquaient de tout faire sauter. Et puis j’avais un autre souci : Dieu.

J’étais toujours aussi croyant, sauf qu’au fil des années j’avais dû interpréter sa parole dans mon intérêt. Un soir, à vingt-trois ans, pris dans mes pensées je me suis dit « et si Dieu n’existait pas ! ». Ça été comme si le sol avait disparu sous mes pieds, happé par le néant. J’essayais de chasser cette question de ma tête mais elle restait là, ce n’était pas par hasard : toutes mes études, lectures, discussions depuis quelques années avaient changé ma perception des choses. Si l’homme a une histoire, alors ses idées, ses représentations du monde ont-elles aussi une histoire ? Est-ce que la religion n’est pas à comprendre dans cette histoire plutôt qu’en dehors ? Je ne pouvais pas régler cette question en une soirée. On ne s’arrache pas à vingt-trois ans de foi aussi facilement. J’ai donc décidé de mettre tout ça de côté quelques temps pour me concentrer sur mon engagement politique. Et sans me rendre vraiment compte, l’idée de Dieu m’a quitté.

Ces études ont eu une énorme importance pour moi. Elles m’ont d’abord apporté des réponses à beaucoup de choses que je ne pouvais comprendre, des questions sociales ou de ma vie d’ouvrier. Une escale avant de chercher à comprendre le pourquoi général des choses. Elles ont été le phare qui m’a mené sur la terre ferme et elles révèlent aujourd’hui le chemin que je suis.

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