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Mondialisation : le mot sa réalité

Est-ce la phase ultime du capitalisme  ?

Depuis une ou deux décennies, le mot “mondialisation” a été largement diffusé, mais les réalités économiques auxquelles ce mot renvoie sont plus anciennes. Ce mot signifie l’expansion au monde entier d’une réalité d’un phénomène, d’un processus. Quelle est cette réalité, ce processus en extension  ?

S’agit-il seulement des échanges, du commerce  ? Dans ce cas, il ne s’agirait pas d’un processus nouveau. Déjà dans l’Antiquité, il existait des relations d’échange entre grandes régions du monde. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que depuis la fin du XIX e siècle, l’économie capitaliste est parvenue à une phase d’apogée, s’étendant à l’ensemble du monde. On peut alors parler de mondialisation, ou plus précisément de mondialisation capitaliste  : domination d’un modèle économique exclusif à tous les pays et peuples.

Si l’on se réfère à l’étymologie, le mot de mondialisation est construit à partir du mot monde, mais ce mot a lui-même deux sens principaux  :

–   une aire dans l’espace, pour nous principalement la planète terre,

–   mais aussi l’idée d’un certain arrangement, d’une disposition, d’un ordre, d’une “logique” interne, s’imposant à tous ses éléments, y compris ses éléments humains. Cet “ordre” mondial est précisément celui du capitalisme (lors même que subsistent de nombreux pays où cet ordre se combine à des régimes sociaux antérieurs ou archaïques).

La question aujourd’hui est donc de savoir quel “ordre”, quelle “logique” s’étend, se répand, s’impose, à l’ensemble du monde humain, et ce qu’ils impliquent.

*****

Les échanges marchands entre pays, entre continents, existaient déjà, on l’a dit, dans l’Antiquité. Si l’on voulait appliquer à ces échanges, la notion de mondialisation, cela pourrait servir à désigner un processus d’ouverture et d’extension du commerce dans l’aire mondiale, mais une extension limitée, ne prenant pas la forme d’un unique marché mondial, imposant partout ses seules lois. Dans l’Antiquité et encore au Moyen Âge, les relations d’échange, entre pays, entre peuples, ne valaient pas comme extension d’un seul “système”, d’un seul mode de production et d’échange.

Depuis que le mode d’échange marchand simple s’est développé en mode capitaliste, l’idée de mondialisation signifie ainsi la propagation à toute la planète, à tous les peuples, d’un seul régime social de production et d’échange, le capitalisme, la domination exclusive de ses “lois”. Cette domination ne date pas du XXI e siècle, on peut faire remonter les débuts de ce processus de généralisation au XIX e siècle.

Le processus de mondialisation capitaliste dans l’histoire

La croyance en la pérennité du mode capitaliste de production et d’échange, en la nécessité de son extension inéluctable au monde entier, est ancienne. Sans doute remonte-t-elle aux premiers balbutiements du capitalisme.

Au cours de la première moitié du XIX e siècle, en France, elle était vivement défendue par les économistes libéraux. Dans le Dictionnaire de l’Économie politique publié en 1850, on salue le «  processus irrépressible de l’échange universel qui s’étend au globe  », contre les «  barrières artificielles  » des frontières, des nations, des réglementations, et plus généralement contre toutes les contraintes politiques.

Les libéraux à cette époque, évoquent peu les problèmes sociaux engendrés par ce processus. Ils se contentent de condamner les luttes entre classes, sans indiquer que c’est le capitalisme qui les engendre, sans pouvoir les résoudre. Ces économistes libéraux perçoivent cependant déjà que la généralisation du capitalisme au monde suscite qu’il existe de violentes luttes pour les marchés, la «  préférence pour le marché  », qu’elle conduit à la constitution de capitaux et blocs de puissances en rivalité.

Du côté des socialistes de l’époque, opposés aux libéraux, ceux qui luttent pour l’instauration d’un régime de production et d’échange vraiment “social”, ce processus d’expansion au monde entier de la logique “absurde” et destructrice du capitalisme, est vivement critiquée. Au sein de ces courants, dès la première moitié du XIX e siècle, l’ordre capitaliste est analysé dans ses contradictions internes et réprouvé, ceci avant même que Marx n’en dévoile pleinement le fondement dans le Capital. On dénonce les méfaits du régime de la concurrence entre capitaux, qui se substitue à la souveraineté politique du peuple, mais aussi les conflits, les guerres que le capitalisme développe inévitablement, entre les nations, entre les peuples.

Dès 1848, le socialiste François Vidal, préoccupé par les contradictions que recèle le capitalisme livré à son propre mouvement, indique que la concurrence «  élevée à un échelon universel  » ne peut résoudre ce qu’elle ne parvient pas à résoudre à l’échelle d’une nation. Contre ce régime absurde, qui régulièrement conduit à la crise, au chômage, aux faillites, à la misère, des ouvriers relayés par leurs organisations projettent la possibilité d’un autre régime économique, fondé sur la socialisation des moyens de production, et dirigé par le bien commun.

Avec la montée en puissance des grands empires capitalistes occidentaux à la fin du XIX e siècle, le capitalisme tend à élargir plus encore son règne dans l’ensemble du monde. L’extension de ce règne dans le champ de l’économie, la concurrence entre capitaux pour les marchés, conduisent aux crises de surproduction, puis à des crises générales, dont les effets se déploient déjà à l’échelle mondiale. Les effets des premières grandes crises à la fin du XIX e siècle, puis au début du XX e siècle aboutissent aux âpres luttes que se mènent les différentes puissances, jusqu’au déclenchement d’une grande guerre, elle aussi à l’échelle mondiale  : la Première Guerre mondiale.

Bien avant la Première Guerre mondiale toutefois, des théoriciens de diverses tendances, y compris au sein de la classe bourgeoise s’étaient préoccupés des “méfaits” sociaux engendrés par le régime capitaliste comme de son incapacité à venir à bout des crises périodiques du Capital. Ils étaient beaucoup plus clairvoyants qu’aujourd’hui. La question des rivalités entre capitaux et des puissances pour le partage du marché, des débouchés, les obsédaient. Certains indiquaient que cette rivalité impliquait nécessairement la guerre, et qu’à “économie mondiale” (mondialisation) correspondait la possibilité du “caractère mondial” des nouvelles guerres  : des guerres mondiales. À la même époque cependant, comme aujourd’hui, d’autres imaginaient que l’extension pacifique du capitalisme était possible, moyennant qu’on le “réforme”. Ils évoquaient la possibilité de ce que l’on nommerait maintenant une «  mondialisation heureuse  », ou ce qui revient au même, une “autre mondialisation”.

L’interruption du processus de mondialisation capitaliste

À l’issue de la Première Guerre mondiale, le processus de mondialisation capitaliste fut interrompu, du fait de la révolution sociale en Russie et de l’édification dans un grand pays du monde d’un régime social opposé  : le socialisme.

Au sein des courants socialistes et communistes des métropoles capitalistes cette perspective d’instauration d’un autre régime social s’était trouvée théorisée tout au long du XIX e siècle. Ces courants visaient à résoudre les contradictions insolubles et destructrices du capitalisme, pesant plus particulièrement sur les classes populaires, mais aussi sur l’ensemble de la société. Cette perspective, fondée sur une analyse objective des contradictions du régime capitaliste avait acquis une grande cohérence théorique à la fin du XIX e siècle, en France comme dans d’autres pays européens. C’est en Russie toutefois qu’elle trouva à se réaliser, dans la foulée de la guerre mondiale, avec la révolution d’Octobre 1917. Et, ceci en dépit des difficultés inouïes que devaient affronter les classes populaires, dans un pays encore en état d’immaturité économique et politique.

Le parti communiste qui avait pris en main la direction politique de l’Empire russe travailla à créer les conditions nécessaires à l’édification d’un régime socialiste dans ce pays. En conséquence, la “logique” capitaliste et son avatar, le processus de mondialisation, devait connaître pendant un demi siècle un long temps d’arrêt, un large champ d’expansion du capital échappant à son emprise. 

Ce temps d’arrêt changea le cours du monde, tout au long de la période au cours de laquelle un régime socialiste de production poursuivit en Russie son édification, et sans doute au-delà même de ce temps. Le Capital ne pouvait plus imposer au monde entier une domination inconditionnelle, ceci d’autant plus que la perspective du socialisme, la possibilité d’en finir avec le capitalisme, gagnait d’autres peuples, sur tous les continents.

Face aux assauts incessants du “camp” capitaliste, l’édification autour du pôle soviétique d’un autre régime de production, socialiste, fut à son tour suspendue dans la dernière décennie du XX e siècle. Il ne faut pas en conclure que la perspective d’une telle édification soit pour autant détruite pour les peuples dans le temps historique. Car, en effet le socialisme, l’économie socialiste, répond à la nécessité de mettre au premier plan les besoins humains généraux, et suppose donc de mettre fin aux effets destructeurs que recèle le mode de production capitaliste, à la contradiction fondamentale qui le mine, et dont la crise générale actuelle, révèle le caractère inévitable. En sachant que ce régime, de par sa “logique” interne ne peut de lui-même se réformer.

Pendant quelques années, les défenseurs du capitalisme se sont imaginés qu’avec la destitution du “camp” socialiste mondial, aucune digue ne pouvait plus être opposée à la domination du Capital. Ils se sont imaginés qu’il était possible de déferler à nouveau dans le monde entier, sans rencontrer d’obstacles. Sans comprendre que les obstacles dépendent de “l’organisation” interne du capitalisme lui-même, et que, comme l’indiquait Marx, le capitalisme est son propre «  fossoyeur  ».

La fin de l’Union Soviétique, en tant que régime social fondé sur une économie socialiste, a cependant constitué un tournant historique, néfaste pour les peuples, auquel a correspondu la résurgence de l’idée et du mot de mondialisation.

Avant la dissolution de l’Union Soviétique, on parlait de «  deux mondes  » opposés, «  deux camps  », deux “régimes sociaux”  : capitalisme et socialisme. Après, du côté du monde capitaliste, avec l’effondrement du camp constitué autour de l’URSS, on se contenta de disserter sur les “vices” supposés du monde socialiste tout en taisant les tares et contradictions internes du camp capitaliste.

La relative unité des différentes puissances du “camp” du capitalisme ne dépendait pourtant que de son opposition globale au “camp” socialiste. À partir du moment où celui-ci pouvait paraître abattu pour toujours, il n’y avait plus nécessité de “serrer les rangs” contre le régime adverse. Dès lors on devait se trouver reporté à la “logique” globale qui régnait avant la Première Guerre mondiale, celle de la rivalité meurtrière et sans frein entre capitaux et puissances mondiales (rivalité que Lénine avait théorisée dans son ouvrage L’impérialisme, stade suprême du capitalisme).

La Révolution socialiste, l’extension de son influence au plan mondial avait permis d’entraver la mondialisation capitaliste. La défaite du socialisme en tant que régime social  –  défaite non définitive au plan historique  – a remis à l’ordre du jour la recrudescence des conflits majeurs entre capitaux et puissances mondiales, et avec eux les crises et guerres sur l’ensemble de la planète.

Peut-on pour autant tirer un trait sur la phase historique qu’a constitué l’édification d’un régime socialiste dans une grande partie du monde  ? Non. Sa trace ne peut être effacée, pas plus que les perspectives qui y sont associées. On en est seulement revenu pour un temps de l’histoire, dont on ignore le terme, à l’expression brutale des contradictions inhérentes au mode de production capitaliste, étendues au monde entier. Comme avant la guerre de 1914, le processus de “mondialisation” de l’économie capitaliste est déployé, et avec lui la lutte économique sauvage que mènent entre eux les capitaux et puissances mondiales. 

Le mot mondialisation, ce qu’il révèle, ce qu’il occulte

Ceux qui parlent aujourd’hui de mondialisation omettent souvent sa dénotation qualificative mondialisation capitaliste. Ce qui leur permet de faire silence sur les contradictions antagoniques qui sont à l’œuvre dans cette mondialisation. La notion de mondialisation (tout court) joue alors un rôle d’écran, masquant des oppositions dévastatrices inévitables, leurs implications pour chaque pays et pour le monde dans son ensemble  : crises générales affectant toute la société, au premier chef les classes populaires, exacerbation des rivalités entre puissances, guerres locales, et leur propension à se “mondialiser”.

Ceux qui parlent aujourd’hui de mondialisation ne s’interrogent pas davantage sur les implications, pour les classes populaires du monde entier, de l’interruption des perspectives d’édification d’un régime socialiste. La période 1917-1990, celle où il existait une lutte entre deux “mondes”, semble considérée comme simple parenthèse, et non comme expression de contradictions de toute une époque historique, toujours à l’œuvre, celles-là même qui avaient abouti à transformer l’ensemble de la “donne” mondiale.

Comme avant la Première Guerre mondiale, ceux qui soutiennent la mondialisation, comme ceux qui la critiquent[1], se focalisent sur les aspects apparemment unificateurs  : globalisation de l’économie en interconnexion, marché planétaire des économies, espace économique unique, décloisonnement des marchés, sans voir que cette pseudo unification masque toujours des antagonismes dévastateurs. Comme si les classes populaires, les peuples, ne pouvaient et ne devaient plus jamais attenter à cet harmonieux “concert” du monde capitaliste.

À la thématique de “l’espace unique”, se superpose celle de la prééminence du champ de l’économie, de son autonomisation, et par suite de sa domination absolue dans le champ politique, ce qui devrait rendre obsolètes les nations, les frontières politiques, la souveraineté des États. Que l’on soit partisan ou adversaire de la destruction de la souveraineté des peuples, on fait silence, à droite, comme à gauche, et aux extrêmes, sur la nécessité d’édification d’un régime socialiste, effectivement opposé à la “logique” capitaliste, régime seul capable de mettre fin à ce mode de production et à aux ravages périodiques qu’il fait subir aux classes populaires comme à la société dans son ensemble.



Notes    (↵ Retourner au texte)
  1. 1. La thématique de l’anti-mondialisation (ou de l’alter mondialisation), s’est construite en miroir sur celle de mondialisation. Elle joue elle aussi le rôle de fétiche, avec les mêmes angles morts et l’évacuation des contradictions économiques ou sociales qui structurent la mondialisation capitaliste.

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