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La dette publique dans l’histoire

La dette publique dans l’histoire[1]

À propos de la dette publique (ou dette souveraine), les commentaires ne manquent pas. Une foule de détails concernant la situation immédiate sont donnés, de multiples “solutions” proposées, mais sans que l’on sache toujours quel est le problème posé. Pour mieux saisir sa nature, il est utile de le situer en perspective historique. C’est l’objet de cette note de lecture de la Dette publique dans l’histoire, dont on ne retiendra que quelques données générales.

Quels sont les critères pour que l’on puisse parler de Dette publique ?

La dette publique n’est pas une dette personnelle (par exemple celle du roi), mais de la collectivité dans son ensemble.

Pour qu’on puisse parler de dette publique, il faut qu’existe une continuité de l’État et une pérennité “morale”, c’est-à-dire que les engagements de l’État comme emprunteur soient susceptibles d’être tenus (respect de la parole de l’État), ceci quel que soit le détenteur du pouvoir. Ce critère est lié à la question de la souveraineté de l’État. L’État doit être considéré comme un “être éternel”, capable donc de remplir ses engagements, respecter la parole donnée. Les prêteurs ne prêtent à un État que s’ils jugent celui-ci solide, capable de durer et donc d’honorer le service de la dette.

Toutefois, la question de la perpétuité de l’État, et donc de sa capacité à honorer ses engagements, peut se révéler un vœu pieu. Beaucoup d’État disparaissent ou ne sont plus capables de remplir leurs engagements.

Pour qu’un État puisse assumer les dettes qu’il contracte, il faut une connaissance de toutes les données de la dette : identification, contrôle, prévision, notamment connaître la proportion entre revenus et dépenses, actuelles et envisagées. Cela est nécessaire pour maintenir la confiance publique, plus spécialement celle des prêteurs. Dans son compte-rendu au roi en 1781, Necker regrettait « qu’en France on fasse constamment mystère de l’état des finances », ce qui conduit à mettre en doute la parole de l’Etat, « à laquelle les hommes d’expérience ne croient plus ». Selon lui, la confiance publique est indispensable aux finances d’un Etat moderne.

Enfin, il existe un autre critère qu’on pourrait nommer de légitimité de la dette. À quoi est-elle consacrée ? Dès le XVIe siècle, on associe en France la question de la dette, même quand il ne s’agit encore que de la dette royale, au fait qu’elle soit au service de la res publica, du bien public. Le souverain, même s’il a commis des erreurs, est censé avoir agi pour le bien du royaume et de ses sujets. La dette est considérée comme légitime si elle sert à financer des dépenses productives, mais aussi si la capacité de remboursement est effective. Un économiste français du début du XIXe siècle, défend l’idée que les emprunts publics sont une bonne chose à condition que l’État soit solide et l’économie en essor.

La question de la légitimité de la dette est ainsi liée à l’idée de dépenses en faveur du développement du pays. Au XVIIIe siècle, dans l’Esprit des Lois, Montesquieu (chapitre « Des dettes publiques »), indiquait à propos des dépenses improductives de l’État : La dette publique a ce gros défaut qu’elle « ôte les revenus véritables de l’État à ceux qui ont de l’activité et de l’industrie, pour le transporter aux gens oisifs, c’est-à-dire qu’on donne des facilités pour travailler à ceux qui ne travaillent point, et des difficultés pour travailler à ceux qui travaillent ».

Toujours à propos de la dette, le philosophe économiste écossais David Hume s’inquiétait pour sa part des effets de désintégration du corps social, lié au fait que la dette profite d’abord aux prêteurs : une trop grande partie de la richesse produite est appropriée par ceux-ci, « classe d’individus oisifs, détachés de l’État et de la nation ».

D’autres théoriciens ont défendu au XVIIIe siècle le recours à la dette publique, en négligeant ses effets néfastes. Ils posaient que la dette publique était bénéfique car elle stimulait la circulation monétaire, contre les thésauriseurs. Toutefois, ils précisaient que l’endettement ne devait pas être illimité, au-delà de la quantité de la production nécessaire.

Évolution de la nature des dépenses de l’État requérant le recours à la dette publique.

La nature des dépenses qui entraînent pour un État la nécessité de recourir à la dette en complément des impôts, a évolué dans l’histoire.

Dans l’Ancien régime, la nécessité de recourir à la dette, se développait surtout à l’occasion des opérations de guerre. Il s’agissait donc de dépenses extraordinaires, et non ordinaires. La question qui se posait alors était : ces guerres peuvent-elles “rapporter” quelque chose au pays. Comme jusqu’à une certaine époque, il s’agissait pour une nation de se constituer et d’exister, se défendre, on peut considérer que le recours à la dette avait une légitimité relative pour l’ensemble de la société.

Mais une fois la nation constituée, les dettes encourues en raison des guerres ont pu être considérées comme inutiles, et improductives. Tel était l’avis d’Adam Smith à la fin du XVIIe siècle à propos de l’Angleterre.

En France, dans le courant du XIXe siècle, le recours à la dette n’est pas systématique. L’État s’endette surtout pour des investissements productifs : grands travaux, chemins de fer, etc. Les travaux publics et les investissements industriels sont considérés comme des investissements susceptibles d’être rentabilisés et amortis par la hausse de l’activité économique. La légitimité de la dette est liée à l’idée d’assurer le développement de la production et le positionnement dans la concurrence mondiale. L’économiste Jean-Baptiste Say défend ainsi l’utilité d’emprunts publics modérés, profitables si le gouvernement les emploie en « établissements utiles », car ils offrent un emploi à de petits capitaux détenus dans des « mains peu industrieuses ». La question est cependant posée de la rentabilité effective des investissements.

Commentant le budget de 1877, Isaac Pereire livre un point de vue plus large, selon lui les emprunts liés aux dépenses productives doivent financer le développement économique mais aussi le développement social (amélioration des conditions de travail et des capacités des producteurs).

Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, et surtout après la Deuxième Guerre mondiale, après les efforts de reconstruction, que le recours à la dette est surtout sollicité pour le fonctionnement ordinaire de l’État et les transferts sociaux : sécurité sociale, retraites, chômage, réponses aux revendications de diverses catégories sociales, dont le secteur public (« État providence »), en partie au détriment de dépenses directement productives. De simple complément de l’impôt, ou recours extra-ordinaire, le recours à la dette devient un mécanisme de financement ordinaire, « normal » de l’État. La légitimité ici tient au souci d’assurer la paix sociale.

Du fait que la part des investissements productifs tend à décroître relativement par rapport au fonctionnement de l’État et aux transferts sociaux, l’amortissement de la dette devient alors problématique, surtout en période de crise et de récession. Le déficit public s’alourdit d’année en année, sauf rares périodes de réduction des dépenses internes de l’État. L’économiste américain James Buchanan remarque à ce propos que la propension déficitaire des gouvernements est devenu « le plus important problème économique auquel doivent faire face les démocraties occidentales ».

Quelques données sur l’histoire de la dette publique

La notion de dette publique se développe à la fin du Moyen âge dans plusieurs pays européens, en relation avec le développement de l’économie marchande et la monétarisation de l’économie, et, on l’a vu, le développement d’un État relativement stable. La notion de dette pour le bien public s’affirme dans le même temps, même si elle se confond encore avec les obligations de la personne royale envers le royaume.

Dans les Cités grecques, il semble avoir existé, sinon des dettes publiques, du moins des endettements temporaires pour la collectivité (notamment guerre). Les dettes étaient assumées par diverses collectivités au sein de la Cité. À Rome, il n’existait pas à proprement parler de dette publique, les dépenses courantes, et même la guerre, étaient couvertes par des contributions, plus ou moins volontaires, ou des avances sans intérêts par des riches maîtres de domaines ou des institutions religieuses. Le sort des prêteurs était lié à l’expansion de Rome, aux tributs associés à la conquête et à la prospérité romaine.

Ce que l’on peut assimiler à une dette publique, liée à des dépenses exceptionnelles, se développe le plus précocement au Moyen âge dans certaines villes italiennes.

En France, lorsque le recours à l’impôt se révèle insuffisant, pour les dépenses extra ordinaires (guerres le plus souvent), c’est entre le XVe siècle et le XVIe siècle que l’idée de dette personnelle du roi est associée à celle de dette publique. On n’entrera pas dans le détail des modalités d’emprunts : auprès des villes et corporations bourgeoises, auprès des financiers (souvent contrôlés par une partie de la noblesse), par des ressources tirées de la vénalité des offices, de la vente d’actifs publics, ou par des réformes des finances (celles de Law notamment qui étaient loin de se limiter à la création de papier monnaie[2]).

La banqueroute de l’État monarchique à la fin du XVIIIe siècle se prolonge par la banqueroute révolutionnaire, avec un relatif redressement sous l’Empire. Le XIXe siècle peut être considéré comme le « siècle des rentiers », une alliance de classe se réalise entre les détenteurs passifs de petits capitaux et l’industrie en expansion, auxquels ils prêtent à intérêt, avec la garantie d’un État en développement, et celle du franc or, donc sans dévaluation.

Après la fin de la Première Guerre mondiale, la période du régime du franc or et de la stabilité monétaire est terminée. Les dépenses de l’État sont en hausse et avec elles la dette publique. La dette à court terme qui était à 1 milliard de francs en 1913 monte à 110 milliards en 1920. Quant à la dette publique dans son ensemble, elle se situait autour de 90% du PIB. Avec la fin du franc or et les dévaluations de la monnaie, les petits rentiers d’État perdent la valeur des sommes prêtées, certains sont ruinés, on parle d’une « euthanasie des rentiers ». Ceux qui ne sont pas ruinés ont perdu la confiance dans la garantie de l’État et préfèrent investir dans des valeurs plus sûres. Le placement des rentes et valeurs publiques devient difficile. Les rentiers d’État tendent alors à être remplacés, dans le placement des obligations du Trésor ou les avances de trésorerie, par le système bancaire, le marché des capitaux (Crédit Lyonnais, CIC, Société Générale). Par la suite, les emprunts d’État, seront plus ou moins imposés aux banques, notamment après la Deuxième Guerre mondiale, ce qui conduira à absorber la part des emprunts productifs privés.

La crise de 1929 entraîne une nouvelle progression des dépenses publiques, tandis qu’il y a baisse du revenu national, et donc des revenus fiscaux. La dette publique devient de plus en plus difficile à financer, elle représente de 60 à 75% du PIB. Le coût de la guerre, les dépenses d’occupation, augmentent encore la dette. Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, elle monte aux alentours de 140% du PIB. Les dépenses sociales contribuent à l’alourdir. Toutefois, les dévaluations successives allègent le poids de la dette, mais une fois de plus au détriment des petits prêteurs, on assiste à une nouvelle “euthanasie des rentiers”.

De 1950 jusque dans les années 80 toutefois, on est en période de croissance, de sorte que le ratio dette publique / PIB est relativement modéré. Des années 50 aux années 70, il passe de 50- 60% du PIB à 30- 40%. La courbe du ratio dette/ PIB remonte à la fin des années 70, avec une accélération notable après 1980. La crise de 2008 ne fait qu’accentuer encore un peu plus la courbe ascendante.

Il faut noter toutefois que jusqu’en 2011, la croissance avait moins souffert que lors de la crise des années 30, mais ses conséquences sur la dette publique semblent plus graves, ceci du fait que les taux d’endettement avant la crise étaient déjà de beaucoup supérieurs à ceux enregistrés dans les années qui précèdent 1929. La baisse brutale des recettes due à l’effondrement des activités économiques et des profits du secteur financier, ainsi que le coût de la relance et du soutien au secteur financier, ont eu des effets plus sensibles sur le ratio d’endettement que lors de la crise de l’entre deux guerres.

ANNEXE

Quelques Définitions

Dette souveraine : dette souscrite ou garantie par un émetteur souverain (État ou Banque centrale).

Dette publique : dette de l’État et des autres administrations publiques, ou, ensemble des obligations que l’État a contracté envers ses créanciers.

La dette publique se rapporte aux crédits auxquels doit recourir un État pour financer son fonctionnement (puis le service de la dette), au delà de ses ressources propres (impositions directes et indirectes). À noter que certains engagements à long terme de l’État (retraites notamment) jouent un rôle durable dans le développement de l’endettement (surtout lorsque la production nationale ne suit pas).

Ce qui introduit les notions de dette “explicite” et dette “implicite”. La dette publique ne retient que l’ensemble des engagements financiers que l’État s’est engagé explicitement à payer. Elle ne concerne pas les engagements implicites, par exemple la question des retraites dans l’avenir (plus spécialement celle des fonctionnaires directement financée par des fonds publics). La prise en compte des seuls engagements explicites conduit à sous-estimer le montant de la dette publique.

Si l’on excepte la période de l’après guerre où l’endettement était important mais lié à la reconstruction du pays, le pourcentage de la dette publique par rapport au Produit Intérieur Brut ( PIB) reste modéré jusque dans les années 70 (de 20/ 25%). La forte montée de la dette débute au début de la décennie 80 (le pourcentage de la dette publique par rapport au PIB est actuellement entre 86 et 90%).

Le recours massif d’un État à la dette (au crédit), ne fait pas partie de son fonctionnement normal. Il est supportable tant qu’il y a croissance de la richesse nationale.

Dette brute et dette nette : la dette publique brute, au sens de Maastricht, se calcule par rapport au PIB. La dette publique nette est calculée par rapport au PIB et aux actifs de l’État, actifs financiers (actions, etc.) et physiques (terrains, etc.). Il y a deux modes de calcul, selon que l’on inclut ou non le domaine public.

On remarque que les endettements des différents États diffèrent, selon que l’on prend en compte la dette nette ou la dette brute. Pour 2006 :

Dette brute de l’Allemagne :67,6% du PIB

— Dette nette : 48,1%

Dette brute de la France : 63,6% du PIB

— Dette nette : 37,5%

Dette flottante : les dettes à court terme, non assorties de ressources correspondantes.

Déficit public : mesure l’accroissement de la dette publique pendant une année.

Principal de la dette : montant de la dette moins les intérêts.

Amortissement : procédure de remboursement du principal de la dette.

Service de la dette : tout paiement effectué pour le remboursement du principal ou des intérêts de la dette. Le service de la dette, pour la première fois dans l’histoire économique de la France, est devenu en 2011 le premier poste du budget ( 46 milliards), dépassant celui de l’Éducation Nationale ( 44,5 milliards) et celui de la Défense ( 30 milliards). Le service de la dette est d’un montant supérieur à l’impôt sur le revenu.

Écart de crédit (ou spread) : c’est l’estimation du risque de défaut de paiement de la dette par l’emprunteur (ce qui conduit les prêteurs à augmenter le taux d’intérêt).

Soutenabilité de la dette : la dette est considérée comme soutenable lorsque l’État est en mesure de remplir les obligations actuelles et futures du service de la dette (principal et intérêts), sans allégement ni rééchelonnement.

La soutenabilité de la dette dépend donc de plusieurs facteurs : les ressources actuelles et futures de l’État (lien avec le PIB, la croissance, mais aussi le système fiscal), les dépenses envisagées (productives ou non de ressources nouvelles), le taux d’intérêt. Par exemple un pays dont la dette représente 100% de son PIB, à un taux de 3%, n’est pas en difficulté si ses ressources progressent, même légèrement. L’État doit payer l’équivalent de 3% de son PIB (le taux allemand au début de la crise grecque), ce qui n’est pas préoccupant, tant que l’économie progresse. Le problème est en revanche très préoccupant en période de récession et d’augmentation des taux d’intérêt, surtout s’il y a augmentation des dépenses.

Rapport entre revenus fiscaux, recours à la dette et dépenses de l’État.

Normalement, dans un État bien géré, en dehors des périodes exceptionnelles (guerre, reconstruction), il ne devrait pas y avoir besoin de recourir à la dette publique, les recettes venant des impôts devant suffire pour l’essentiel à équilibrer les dépenses.

Parts de l’endettement en France, entre l’État, les entreprises, les ménages.

Dans des pays tels que l’Angleterre ou les États-Unis, les ménages pour satisfaire leurs divers besoins, sont très endettés, épargnent peu, et l’État est comparativement moins endetté. Dans le modèle de type français, où l’État assure plus de fonctions sociales, l’État est plus endetté et les ménages beaucoup moins. En 2008, la part dans l’endettement intérieur de la France des administrations publiques était de 33,5% ; celle des entreprises de 41,5% ; celle des ménages de 25% (en Angleterre 100%). L’endettement total de la France par rapport au PIB est de 190%.

Notes    (↵ Retourner au texte)

  1. Ouvrage publié par le Comité d’histoire du Ministère des Finances (dir. Andréau J., Béaur G., Grenier J.-Y.)
  2. . En particulier, système de transfert de la dette aux Compagnies mondiales contre le monopole de l’aristocratie terrienne

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