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II – Le bouleversement des repères historiques et politiques

Dans une situation troublée se multiplient les pêcheurs en eau trouble

Depuis une cinquantaine d’années, on parle de Nouveaux Mouvements Sociaux. Cela vaut-il pour dire qu’auparavant existaient “d’anciens mouvements sociaux”  ? De quoi s’agit-il exactement  ?

Il semble que les “anciens mouvements sociaux” désignent ce qu’on appelait mouvement social tout court, plus simplement mouvement ouvrier, voire lutte de classes. Si l’on se rapporte à la formulation nouveaux mouvements, doit-on en déduire que la lutte de classes se rapporterait désormais à d’anciens enjeux sociaux, désormais résolus  ? Les références aux mots mouvement ouvrier, classe sociale, lutte de classe — au sens historique du terme — devraient dès lors être considérés comme obsolètes, périmées.

La formulation Nouveaux Mouvements Sociaux en effet ne se réfère pas à des enjeux de classe. Elle s’applique à des protestations et manifestations diverses, légitimes ou non, dont on ignore les contenus sociaux, les forces de classes qu’ils mobilisent (ceci, même lorsqu’on évoque le mouvement de «  catégories sociales nouvelles  » ou de «  nouveaux salariés  », pour “faire comme si” on était “marxiste”). L’inventaire de ces nouveaux mouvements sociaux est inépuisable  : féminisme plus ou moins radicalisé, fondamentalisme écologiste, revendications LGBT, antiracistes et antispecistes, ligues Vegan  ; révolte “des banlieues”, dissidence des Indigènes de la République, appels pour la défense de multiples “droits” segmentaires, du “mariage homosexuel”, à l’euthanasie ou à la PMA, etc., rassemblements catégoriels prétendant à l’universalité, etc.

On assiste à la mise en branle, en continu, de diverses catégories “d’Indignés” et “d’Insoumis”, de “discriminés”, sortis de leurs gonds, aux intérêts et visées contradictoires. La réalité sociale ne s’ordonne plus en fonction d’antagonismes liée à des substrats sociaux, c’est une peu «  la lutte de tous contre tous  », et dans le cadre de cette lutte, la constitution de niches selon les espèces, les genres, les communautés, les “origines”, se combattant les unes les autres, hors tout critère de classe. On peut sur cette base faire “communier” —  ce ne sont là que des exemples  — de grandes bourgeoises et les ouvrières qu’elles exploitent, des bobos férus d’écologie et des agriculteurs en difficulté, à l’affût d’un marché de niche qui les préserverait de la ruine.

Dans le contexte d’une désorganisation du mouvement populaire, chaque fraction de la population tend alors, parfois au nom de la “convergence des luttes” ou de l’intérêt public, à se constituer en factions, défendant becs et ongles leur propre cause, au détriment d’autres catégories, au premier chef de la “désuète” classe ouvrière, pourtant toujours à la source de la production des richesses sociales. Finalement, chaque individu, chaque catégorie, chaque “communauté” revendique le droit de “voir midi à sa porte” et d’imposer sa vision aux autres. Chacun, chacune, réclame «  le droit de choisir sa vie  », fût-ce au prix de l’écrasement des plus vulnérables économiquement et socialement. On est dans le capitalisme, et on le sait, le capitalisme c’est «  la loi de la jungle  », avec des renards libres de «  choisir leur vie  » dans le poulailler “libre”.

De façon périodique il est vrai, des “anciens mouvements sociaux” s’efforcent de regagner du terrain, par des mobilisations et grèves, s’inscrivant encore peu ou prou dans la lignée de ce que l’on appelait le “mouvement ouvrier”, au sens historique du terme. Des mouvements d’agriculteurs ou de petits producteurs surviennent aussi, dont on saisit aisément les enjeux sociaux. Ces mobilisations, quand elles parviennent à créer un écho, ne concernent pas en général la classe ouvrière (ouvriers et employés ordinaires), non par ce que cette classe aurait cessé d’exister (elle demeure majoritaire), mais parce que ses membres, soumis de plein fouet à l’incertitude des lendemains, ne peuvent s’accorder ce luxe dans la conjoncture actuelle.

Lorsque le régime capitalisme entre dans une crise généralisée, l’efflorescence de mécontentements et de mécontents de tous ordres est certes compréhensible. La question demeure toutefois de saisir la signification sociale de ce bouillonnement et les buts visés par les divers protagonistes. On doit aussi se demander pourquoi des organisations censées se situer “à gauche” privilégient des protestations et modes de groupement hors des tout critère de classe, plutôt que d’organiser et relayer les luttes de ceux qui subissent au premier chef les effets du régime capitaliste. Les mobilisations dites “sociétales” ou “transversales” (transversales en termes de classes) semblent se présenter comme les seules légitimes. Au sein d’une telle fusion entre intérêts de classes antagoniques, nul doute que la classe la plus forte l’emportera nécessairement. 

Si l’on s’efforce de penser historiquement, en se reportant 80 ans en arrière, on assiste depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à un “retournement” de phases s’amorçant dans la conjoncture des années 70 du siècle dernier. Ce retournement tient aux transformations des conditions économiques et à une relative modification de la composition des classes. Cette modification toutefois ne concerne que la part relative des différentes catégories sociales, elle n’affecte pas la structure des classes. Nous sommes toujours dans le capitalisme. Il y a toujours une classe exploiteuse et des classes exploitées, toutes les catégories intermédiaires vivent toujours, d’une façon ou d’une autre, des valeurs créées dans la base économique par les classes populaires. Ce qui a changé dans son principe, c’est la place accordée à ces classes dans le domaine politique.

Il y a une cinquantaine d’années, les organisations politiques censées agir pour la défense des intérêts immédiats et historiques de la classe ouvrière, et plus largement du peuple, ne mettaient pas au premier plan les nouveaux mouvements sociaux. La place prééminente de la classe ouvrière pour orienter la lutte d’ensemble, bien que déjà combattue, prévalait encore. Non par choix, non par “égoïsme” ou “privilège” de classe, mais pour des motifs qui tiennent à la nécessaire disposition des forces de classes dans le mode capitaliste de production et d’échange. Seule l’union de lutte, politiquement et historiquement “orientée” par la classe ouvrière (ici au sens large) se révèle en effet capable de conduire jusqu’à son terme la lutte d’ensemble pour la transformation de toute la société, son émancipation à l’égard des effets destructeurs sans cesse reconduits au sein de ce mode de production.

Les nouveaux mouvements sociaux, portés par les “nouveaux” courants de gauche, et de droite, occupent aujourd’hui la scène politique. Il est plus que jamais question «  d’écarter  » le “privilège” [sic] que constituait la «  centralité ouvrière  », au profit des fameux nouveaux mouvements sociaux  : féminisme, lutte contre les discriminations et l’homophobie, antiracisme, mouvement écologiste, etc. On peut ainsi faire convivialement communier des classes aux intérêts et visées sociales contradictoires. Diverses fractions de la classe bourgeoise (moyenne ou grande) y font leur beurre, imaginant sauver leurs mises, avec l’aide si possible —  on n’est pas sectaire  — d’un ralliement de forces ouvrières. À ce titre, comme l’indique Chantal Mouffe, les “nouveaux mouvements” «  doivent tenir compte des luttes ouvrières  ».

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