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Déploiement d’un déséquilibre mondial après la défaite du bloc soviétique – Note de lecture : E. J. Hobsbawm, L’âge des extrêmes. Le court XXe Siècle 1914-1991

 

Dans le chapitre introductif, «  Le siècle à vol d’oiseau  », l’historien britannique établit une périodisation des années qui courent de la Première Guerre mondiale au démantèlement de l’Union soviétique, en trois phases  : les catastrophes, de 1914 à l’immédiate après-guerre de 1945-1946  ; un «  âge d’or  » de transformations et d’enrichissement sans précédent (1947-1970)  ; depuis 1970, une crise mondiale faite d’incertitude et de décomposition des cadres hérités de l’époque moderne, de l’humanisme, des Lumières du mouvement socialiste dans ses anticipations et réalisations historiques.

Contre la tendance contemporaine à se focaliser sur l’immédiat, éric Hobsbawm rappelle le rôle de l’historien, consistant à conserver un «  lien organique avec le passé public des temps dans lesquels ils vivent  », à «  comprendre et expliquer pourquoi les choses ont suivi ce cours et comment elles s’agencent  », il se pose la question des critères de classification des pays en blocs une fois le bloc communiste disparu. Car, écrit-il, «  le monde qui s’est morcelé à la fin des années quatre-vingt était un monde façonné par l’impact de la Révolution Russe de 1917  » – que l’on y fût favorable ou hostile. Une fois ce monde en déshérence, «  il n’est pas facile, même avec le recul, de concevoir des critères de classification plus réalistes que ceux qui plaçaient les États-Unis, le Japon, la Suède, le Brésil, la Corée du Sud sous une même catégorie  ; et les économies étatiques ou les systèmes en vigueur dans la zone d’influence soviétique dans le même ensemble que les économies asiatiques de l’Est et du Sud-Est qui, elles, ne se sont pas écroulées  ». Au moment de l’écriture de ce livre moins que maintenant, l’observateur, simple citoyen, a de plus en plus de mal à situer les blocs mouvants à l’œuvre dans le monde.

Pour l’historien, si la Révolution de 1917 a été si structurante, c’est d’abord que, profitant de l’effondrement du capitalisme lors de la Première Guerre mondiale et des effets de la crise de 1929, elle est apparue comme promotrice d’une solution de rechange pour des peuples entiers. Ensuite, par un paradoxe historique, c’est parce que durant la Seconde Guerre mondiale, elle a sauvé son antagoniste, le régime libéral bourgeois, des solutions autoritaires, puis l’a obligé à se réformer durant cet «  âge d’or  » des années 1947-1970. Dans cette même période, le monde communiste fut un accélérateur de décolonisation et de modernisation des pays sous-développés. On remarque que maintenant, la Russie s’implante en Afrique en jouant sur cet ancien ressort de l’indépendance et de la critique de la persistance de la mentalité coloniale, française en particulier. Le monde qui s’est effondré après 1991 avait été façonné par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, dont faisait partie la Russie soviétique, au détriment des perdants, rayés de la vie politique et intellectuelle. Il se trouve alors dans une crise universelle et mondiale, touchant tous les pays puisque «  l’âge d’or  » de 1947-1970 a pour la première fois créé une seule économie mondiale, pour laquelle les frontières des états et des idéologies, le droit international, les structures historiques héritées des sociétés marchandes, toutes les formes d’organisations des sociétés, représentent un obstacle majeur dont la destruction systématique est bien avancée.

Bien loin d’être un «  turfiste  », comme il le dit, Hobsbawm voit clairement le déséquilibre mondial induit par la chute du bloc soviétique, se traduisant par une perte de tous les cadres hérités soit de la société bourgeoise libérale soit du socialisme, y compris dans les états les plus stables comme le nôtre.

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