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Dans quelle situation se trouve la France ? Quels dangers pour l’avenir ? Pour les classes populaires, que proposent les différents partis ?

L’année 2012, année d’échéances électorales, offre aux citoyens une occasion privilégiée pour s’interroger sur l’état de la France et sur les orientations que les différents courants politiques envisagent pour la nation dans les années à venir. Une telle interrogation ne doit pas perdre de sa valeur une fois les élections passées. C’est pourquoi nous présentons dans ce numéro, les propositions des divers Partis, en s’efforçant de voir si celles-ci sont en cohérence tant avec les données de la situation présente du pays, qu’avec les attentes et prises de conscience des diverses classes de la population.


Nous avons préparé cette analyse, avant qu’ait été élu le nouveau Président de la république, François Hollande. Nous estimons cependant qu’il est indispensable d’examiner les orientations qu’il préconise lui-même ainsi que celles des autres candidats et Partis. On ne peut en effet porter un jugement clair sur les politiques en présence en fonction du seul résultat des présidentielles, sans se préoccuper de savoir si elles sont ou non cohérentes au regard des conditions concrètes, de la France et du monde.

Une nécessité politique : déterminer ce qui est possible dans chaque situation historique

Depuis sa création, Germinal s’est attaché à souligner l’importance de l’analyse concrète des situations concrètes. Il ne s’agit pas là d’une marotte tout juste bonne à occuper quelques intellos en manque de réalité, mais d’une nécessité absolue si l’on veut être à même de dégager des orientations justes pour la lutte des classes populaires. On ne peut développer un programme ou des orientations conformes aux intérêts des classes populaires, à court et à long terme, si l’analyse de la situation est fausse, ou si l’on ne prend même pas la peine de faire cette analyse, qu’on se contente d’émettre de simples souhaits ou de dénoncer tel ou tel courant concurrent.

Quels que puissent être les besoins, les attentes, des différentes catégories sociales dont se compose une nation, les classes populaires ne peuvent lutter de la même façon lors des périodes de recul, de revers historique, et lors des périodes favorables à l’essor, à l’offensive, à la transformation du monde. La relation entre l’analyse objective de la réalité et l’action, entre la politique et la détermination du possible, s’impose à chaque moment de l’histoire. « En politique, regarder la vérité en face, la meilleure méthode et la seule juste », « [ne pas] déterminer la politique uniquement d’après les désirs et les opinions »[1].

Allant dans le même sens que ces citations, plusieurs personnes rencontrées lors de l’enquête publiée dans ce numéro, insistent sur la nécessité de « garder les pieds sur terre », de toujours s’attacher à « voir ce qu’il est possible de faire ».

Avant de dérouler tout un catalogue de propositions, censées résoudre tous les problèmes, satisfaire tous les désirs, légitimes ou non, il importe ainsi de situer les caractères principaux de la situation historique dans laquelle et des conditions au sein desquelles se déroule la lutte des classes populaires. Quelle que soit la conjoncture, il convient de dresser des perspectives pour toute une époque, mais il faut aussi, dans chaque situation, être à même de délimiter les tâches qui correspondent aux conditions objectives. On proposera dans les prochaines parutions de Germinal un ensemble de données sur de telles conditions en France, et sur leur évolution depuis trois ou quatre décennies, en se bornant ici à porter l’attention sur le renversement des conjonctures qui s’est opéré depuis la période d’après-guerre.

Dégager les traits essentiels de la situation historique

Dans le monde régi par le capitalisme, le cours des choses n’est pas un long fleuve tranquille. Il existe des périodes relativement calmes, prospères même, qui peuvent succéder à des périodes d’exacerbation des antagonismes de ce régime et aux destructions qu’ils entraînent. Au cours des périodes de reconstruction de la vie économique et sociale, toutes les classes sociales peuvent plus ou moins faire profit des miettes de cette prospérité, du moins dans certaines parties du monde : plein emploi relatif, augmentation des revenus, capacité de redistribution sociale, etc. C’est ce qui s’est passé en France au cours des décennies qui ont succédé à la Seconde Guerre mondiale, lors de la période dite des Trente Glorieuses.

Cependant, compte tenu de la contradiction fondamentale qui anime le mode de production marchand capitaliste, ces périodes bénies préparent les conditions de la régression et du chaos. Cela ne ressort pas d’une méchanceté particulière des capitalistes, mais de l’irrationnelle “logique” qui règle le mouvement immanent de ce mode de production. Lors des périodes d’essor, la production des marchandises se déploie à une échelle démesurée, sans rapport avec la possibilité de réaliser la valeur des marchandises produites, c’est-à-dire la possibilité de les vendre, face à un marché où tous les capitalistes en concurrence ont eux aussi étendu toujours plus leurs capacités de production (ou surcapacités de production par rapport au marché). Depuis le xixe siècle se manifestent ainsi périodiquement de telles crises de surproduction, qui peuvent prendre des formes diverses. De crise en crise, on aboutit, une à deux fois par siècle, à une grande crise généralisée du capitalisme, comme celles qui se sont développées à partir de  1929 ou de 2008.

Avec la concurrence accrue pour les débouchés, le développement inégal des différentes puissances mondiales, la disparité des coûts de production, et lorsque le marché “boude”, on assiste à une fuite en avant du capital hors de la production, dans la finance, le pur spéculatif, le virtuel. De sorte que, de crise mineure en crise mineure, on parvient à la dernière phase du processus, un dérèglement généralisé de l’économie, qui semble survenir comme l’orage dans un ciel clair. On peut dès lors s’imaginer qu’il s’agit d’un problème lié seulement à la “finance”, sans saisir que ce désordre universel résulte d’un processus amorcé bien des années auparavant (pour la crise actuelle depuis les années 70).

Dans ce contexte, les difficultés que connaît un pays comme la France (qui est loin d’être le plus touché en Europe), bien qu’elles aient préexisté aux formes financières de la crise, se manifestent alors au grand jour : désindustrialisation, délocalisations, aggravation du chômage (surtout ouvriers et employés), stagnation ou baisse du produit intérieur brut, surendettement, difficulté à maintenir les dépenses sociales de l’État, atteintes portées aux catégories jusque là épargnées de la fonction publique (sans commune mesure cependant avec celles portées aux salariés du secteur privé ou aux producteurs indépendants).

Les choix des gouvernements sont pour peu de choses dans l’évolution et l’aboutissement de ce processus. Tout au plus peut-on leur reprocher, qu’ils soient de droite ou de gauche, de ne pas avoir anticipé son inévitable issue, ou encore peut-on désapprouver les choix faits par les différents courants, qui ont pu viser, tour à tour, à satisfaire ou préserver les uns plutôt les catégories de population dépendant du secteur privé, les autres plutôt ceux du secteur public. Bien qu’ils ne soient pas dans leur nature très différents, on peut aussi critiquer les choix opérés en faveur de l’Europe par tel ou tel gouvernement de droite ou de gauche. Mais ces choix eux-mêmes participent d’un semblable mouvement de fuite en avant, consistant à élargir à un ensemble de pays en concurrence, un problème déjà difficile à surmonter dans le cadre de la nation, ce qui loin de permettre de le résoudre contribue à l’exacerber.

Avec le retour de manivelle provoqué par la généralisation de la crise, les supposées vertus de la construction européenne (prospérité, protection, pacification) ont révélé toute leur facticité. Un retournement apparent de position a paru alors s’imposer au sein des différents courants, chacun essayant de reprendre ses billes, tout en sachant que dans le cadre du régime capitaliste il n’est plus vraiment possible de faire machine arrière. Plusieurs partis, notamment à l’occasion des échéances électorales, ont ainsi mis en sourdine leurs hymnes à l’Europe, les plus critiques à l’égard de l’Europe n’étant pas d’ailleurs les moins “européistes”. Il en est de même de plusieurs de ceux, qui, le coeur sur la main, semblent redécouvrir la France, les uns pour défendre la production française, d’autres le protectionnisme et la souveraineté de la nation, tout en prêchant en sous-main un essor de la production européenne, un protectionnisme européen ou une souveraineté de façade assujettie à une Europe encore plus européenne.

Au cours des trente dernières années, la régression ne s’est pas manifestée seulement dans le domaine économique et social, mais aussi dans le domaine politique. Le processus de désagrégation des Partis ouvriers, du communisme notamment, a affecté l’ensemble de la vie politique. Une telle désagrégation n’est pas à considérer comme un problème principalement quantitatif, mais d’abord qualitatif, puisqu’il a marqué l’abandon de toute perspective historique tracée devant l’ensemble de la société. Seule la classe prolétarienne en effet est à même de réaliser l’unité de lutte des différentes catégories de travailleurs en fonction d’un objectif historique commun, même si celui-ci ne peut se réaliser dans l’immédiat. En l’absence d’une telle orientation, les repères se sont perdus, la conscience s’est abaissée, de multiples entreprises de désagrégation de l’organisation de classe et de l’unité républicaine ont eu le champ libre (regroupements catégoriels, identitaires), favorisant la lutte de tous contre tous et les innombrables duperies et manipulations.

La place des différentes classes dans la société et la diversité de leurs intérêts immédiats

On ne présentera pas une analyse de classe développée, correspondant aux données contemporaines d’une société telle que la France. Cette analyse est encore à faire. On s’intéressera seulement aux évolutions qui se sont produites depuis quelques décennies à propos de l’orientation d’ensemble des luttes, en se centrant sur deux grands secteurs de la vie sociale.

Dans le paysage politique dévasté qui est aujourd’hui le nôtre, le mot d’ordre du « tous ensemble » s’est fait entendre, certains y ayant même ajouté, pour faire bonne mesure « tous ensemble et en même temps », comme si la lutte de classes, au sens historique du terme, se réduisait à un rapport de forces instantané, à un bras de fer ou un match de boxe, sans que l’on ait à se préoccuper des conditions générales de lutte des classes populaires et des difficultés à affronter. L’unité effective ne peut résulter de la seule magie d’un slogan, sans prise en compte des conditions effectives qui doivent être saisies en fonction d’une analyse, ici encore concrète, des intérêts et visées spécifiques des différentes classes, des alliances à privilégier ou à nouer avec prudence.

Pour peu que l’on observe les programmes des divers partis, et qu’on se préoccupe des points de vue émanant des diverses catégories de travailleurs, on constate que si les intérêts des uns et des autres peuvent coïncider en fonction des conditions concrètes sur des questions plus ou moins essentielles, les priorités se révèlent différentes selon que l’on se situe dans les secteurs liés directement au aléas du monde marchand capitaliste, ou dans des secteurs encore partiellement protégés, et que ces intérêts varient en fonction des conditions concrètes.

La question n’est pas ici de contester l’apport à la société que représentent telles ou telles classes ou catégories sociales. Différentes catégories de travailleurs jouent dans la vie sociale des rôles distincts dont on ne peut contester a priori l’utilité : soit parce qu’ils participent directement ou indirectement à la production matérielle de cette vie sociale (ouvriers, employés, techniciens, artisans, agriculteurs, etc.), soit parce qu’ils assument des fonctions sociales générales : éducation, santé, sécurité intérieure et extérieure (police, justice, armée), prélèvements fiscaux sur la richesse produite (pour récolter ce qui est nécessaire à l’accomplissement des fonctions sociales de l’État), etc.

Si l’on excepte les individus et catégories qui se développent, comme le dit Marx comme des parasites obstruant les pores de la société, ces différentes classes de travailleurs peuvent donc être utiles à la vie sociale. Les distinctions entre elles ne résident donc pas dans le critère de l’utilité sociale, elles sont à mettre en relation avec la position qu’elles occupent dans la société, mais aussi l’ordre des nécessités, soit que ces travailleurs soient associés plus ou moins directement à la production matérielle des richesses, soit qu’ils en dépendent pour exister.

Ce positionnement des différentes classes se pose en relation avec la question du rapport entre production et répartition de la richesse sociale. Quelle que soit la société, on ne peut en effet répartir de richesses que si celles-ci sont produites, la production nécessairement première, permet, en fonction de son propre développement, le développement plus ou moins large de fonctions sociales générales et de divers types de redistribution. Dans toute société, et cela est vrai depuis l’Antiquité, certaines fonctions ne peuvent être remplies que s’il existe des “surplus” [2] permettant d’assurer l’existence des catégories non productives, que leur fonction soit utile ou parasitaire.

La capacité d’entretenir des catégories non productives s’est développée largement dans des pays tels que le nôtre, et plus généralement dans les sociétés bourgeoises. Mais ce développement, dans le cadre du capitalisme, est loin de s’effectuer de façon continue et uniforme. Lorsque la base productive se rétracte, et que par contrecoup les besoins en transferts sociaux s’étendent, le seul moyen pour un État de répondre aux revendications, légitimes ou non, des diverses catégories dont l’existence dépend de fonds publics, est de recourir à la dette. Un tel recours ne peut durablement être soutenu, la dette s’alourdissant d’année en année si la production stagne ou continue de décroître, jusqu’à faire craindre une défaillance de l’État (et avec elle l’impossibilité d’emprunter pour assurer les différents transferts) [3].

Les points de vue de différentes catégories de travailleurs sur la réalité du monde

Sans opposer les catégories de travailleurs, on peut constater qu’ils sont affectés de façon différente par les effets de la crise selon la place qu’ils occupent dans la société. De façon plus générale, les premiers à souffrir des aléas qui affectent la production capitaliste sont les ouvriers et les employés, il n’est qu’à comparer les taux de chômage pour en être convaincu. Puis viennent les cadres du privé et les petits producteurs indépendants (artisanat, agriculture), mais aussi les commerçants, contraints de fermer boutique, et tous ceux dont le pouvoir d’achat régresse. La fonction publique, sans être totalement épargnée, n’est pas affectée au même titre, si l’on excepte les travailleurs précaires (sans statut) dont le nombre augmente. Emplois, salaires, retraites, demeurent jusqu’à un certain point, garantis. Des atteintes sont cependant portées dans ce secteur aussi : baisse des effectifs et de certains avantages, tendance à importer les modes de gestion du monde marchand, à imposer des règles se rapprochant de celles qui valent pour le secteur privé, impression d’une perte de légitimité, etc.

Du fait de leur positionnement distinct par rapport à la violence qui règne dans le secteur dépendant directement du capital, chacune de ces grandes catégories sociales a tendance à saisir différemment la réalité du monde. Celles qui sont liées directement ou indirectement à la production, lorsque celle-ci menace de ne plus assurer leur survie, ont tendance à mettre en avant tout ce qui permettrait de maintenir et développer la production, plus spécialement dans le cadre national, leur intérêt immédiat coïncidant ainsi avec celui de toute la société. Les catégories qui sont encore relativement protégées par un statut (secteur public et assimilé), ont tendance à mettre en avant leurs problèmes spécifiques, parfois en les faisant passer comme étant ceux de la société tout entière, et plus généralement à privilégier la question de la répartition (sans toujours se préoccuper de ses conditions, sans même bien voir ce que cela implique pour les producteurs de la richesse qu’il y a à répartir[4]).

On peut, dès lors comprendre que si l’on veut réellement réaliser une unité de lutte des classes populaires, il importe non seulement d’analyser la situation dans son ensemble, mais aussi de caractériser les dispositions (dans tous les sens du terme) des différentes catégories de travailleurs.

Quelles classes peuvent orienter le mouvement de la société dans son ensemble ?

Deux classes principales dans l’histoire sont ou ont été capables, à des époques différentes, de promouvoir un intérêt d’ensemble de la société, ou, comme l’indiquait Marx de « prendre en charge » la nation : il s’agit de la bourgeoisie révolutionnaire et du prolétariat révolutionnaire.

Dans la situation actuelle, la bourgeoisie a achevé son rôle révolutionnaire et le prolétariat, désorienté, désorganisé, n’est pas en mesure d’assumer son rôle historique, à peine parvient-il à défendre ses propres intérêts immédiats. Quant aux catégories intermédiaires, dites aussi « classes moyennes », qu’il s’agisse de la petite bourgeoise productrice ou de la petite bourgeoisie d’État, leur positionnement dans la société ne leur permet pas de prendre en charge l’ensemble de la nation. L’historien François Simiand indiquait à ce propos qu’au cours de l’histoire les classes occupant une position intermédiaire, ne disposent pas de ce fait d’une réelle indépendance d’action. Elles se développent et agissent dans tel ou tel sens, en fonction de cadres généraux délimités par les classes principales de la société, non en fonction de perspectives propres. Évoquant l’effervescence sporadique de ces classes dans l’entre-deux guerres, le sociologue Maurice Halbwachs soulignait pour sa part l’oscillation de la “classe moyenne” entre les deux pôles : bourgeoisie et classe ouvrière, en fonction de l’initiative prise par ces deux classes dans différentes situations historiques :

« D’où une alternance d’attitudes : tantôt résignée à des conditions et mouvements qu’elle ne comprend pas, dont elle n’aperçoit ni les raisons ni les conséquences, et tantôt dressée dans un mouvement de révolte violente et aveugle contre son évolution qu’elle pense pouvoir arrêter et détourner de son cours, […] elle ne prend jamais une conscience bien nette des motifs de sa conduite, qui ne sont chez elle que les aspirations qui se font jour dans la bourgeoisie ou la classe ouvrière. »

Maurice Halbwachs sans doute s’intéressait alors davantage à la petite bourgeoisie du secteur privé qu’à la petite bourgeoisie d’État, mais ses réflexions ne sont pas sans intérêt à l’égard de cette dernière aussi, dont les prises de conscience se révèlent parfois irréalistes par rapport à la situation, plus encore que la petite bourgeoisie indépendante, surtout lorsque n’existe pas de point de vue prolétarien s’exprimant face à toute la société.

Jusque dans les années 70, les différentes luttes sociales s’orientaient d’une façon ou d’une autre en fonction du pôle constitué par la classe ouvrière et le mouvement communiste. Depuis plusieurs décennies, il n’existe plus de perspectives historiques dressées par les organisations de la classe ouvrière, ces organisations d’ailleurs n’existent plus si ce n’est en effigie. Quant aux luttes immédiates des ouvriers, elles se déroulent dans un certain isolement et rencontrent peu d’écho. Les ouvriers, en tant qu’individus et non en tant que classe, sont pour la plupart pris dans l’étau de la survie, du chômage, de la peur de perdre leur emploi, et ne peuvent pas faire prévaloir leurs revendications propres, et moins encore, faute d’une organisation indépendante, proposer des visées pour l’ensemble de la société. Dans ce contexte, d’autres catégories sociales, sur lesquelles cet étau ne s’impose pas avec la même implacabilité (secteurs moins menacés de la fonction publique et des entreprises à statut), ont pris l’ascendant sur le mouvement d’ensemble. Sans remettre en cause la légitimité des revendications que ces catégories mettent au premier plan (et qui quelquefois peuvent coïncider avec celles de catégories de travailleurs soumis directement aux contraintes de la logique capitaliste), il est nécessaire de comprendre que l’unité de lutte de tous les travailleurs ne peut se réaliser sur la base de leurs doléances spécifiques. Simplement du fait que ces doléances, pour être satisfaites, supposent d’abord la reconstitution d’une production nationale cohérente. On ne peut traire une vache qui n’a plus de lait (encore moins si c’est un boeuf ou un bouc !).

Dans la situation actuelle, faute de pôle prolétarien organisé, les citoyens se trouvent ainsi contraints, quelle que soit leur classe d’appartenance, d’opérer des choix entre deux orientations relevant toutes deux de politiques bourgeoises, de consistance plus ou moins forte en fonction de la fraction bourgeoise qui les pose et des priorités qu’elle met en oeuvre. Il ne s’agit plus de choisir entre une gauche qui serait pour les pauvres, pour les travailleurs et contre le capital, et une droite qui serait pour les riches, les patrons, les financiers, mais plutôt d’opter pour les orientations mises en avant par une bourgeoisie, à part entière, davantage centrée sur le maintien de conditions favorables à la production (en y incluant bien entendu la défense de profits pour le capital), et, un ensemble de forces de moyenne et petite bourgeoisie (qui comprend aussi des riches), dont une partie dépend du secteur public, et qui ont de ce fait tendance à privilégier des revendications centrées sur la répartition, la plus favorable possible à leurs exigences propres.

Face à ce dilemme, les voix des électeurs ont été contraintes de se porter sur l’une ou l’autre de ces politiques, l’une et l’autre bourgeoises dans leur nature, sinon dans les forces qui les soutiennent (les courants les plus extrêmes n’échappant pas à cette même logique, leur talent particulier consistant à flatter avec plus d’habileté et moins de scrupules telles ou telles catégories). Il n’est pas sûr cependant que chacun ait disposé de tous les éléments pour guider son choix.

Quoi qu’il en soit, les lendemains ne seront sans doute pas radieux. Ce qui incite à s’attacher à la tâche essentielle qui consiste à travailler à reconstituer les conditions d’une organisation historique du prolétariat, de la classe ouvrière, du peuple, afin d’être à même de ressaisir l’initiative historique.

Notes    (↵ Retourner au texte)

  1. 1. Citations du dirigeant révolutionnaire Lénine, qui se révéla capable de diriger la lutte du peuple russe, depuis les premiers balbutiements de l’organisation ouvrière, jusqu’à la révolution socialiste, sans omettre les périodes de réaction.
  2.  2. Il y a “surplus” dès lors que les producteurs immédiats produisent plus que ce qui est nécessaire à leur propre existence et à la répétition du cycle de production à la même échelle
  3. 3.Voir dans ce numéro le compte rendu de lecture La dette publique dans l’histoire.
  4. 4. On abordera dans le prochain numéro la question théorique du rapport entre production et répartition, en analysant plus spécialement les thèses de ceux qui imaginent que le problème posé se résout magiquement par l’augmentation de la productivité (sans qu’ils se préoccupent de ce que cela signifie pratiquement pour les producteurs).

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