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Blanqui : La légitimité de la nation revient aux classes populaires

Dans un ouvrage récemment paru de Bernard Peloille, De la nation [1], le chapitre « Nation et socialisme » rend compte du rapport entre classes sociales, nation et révolution. Il s’intéresse plus spécialement dans ce chapitre à la pensée d’Auguste Blanqui [2]. On propose ici un aperçu succinct de son analyse.

Selon l’auteur, Blanqui porte un intérêt particulier au positionnement des classes sociales (bourgeoises et prolétariennes) dans la formation historique de la nation, sa défense ou son démembrement. Toutefois, bien que défenseur de la formation historique de la nation française, Blanqui pose que celle-ci est composée de classes qui se livrent une guerre inexpiable.

« Il ne faut pas se dissimuler qu’il y a guerre à mort entre les classes qui composent la nation. »

Si, selon Blanqui, la nation ne suspend pas les antagonismes sociaux, cela ne signifie pas que les classes populaires ne soient pas attachées au cadre qu’elles ont contribué à forger. Les classes au travers de leurs intérêts propres ont déterminé les caractères spécifiques de l’existence de la nation. Les luttes qui sont menées à l’interne, comme les combats pour la défense de cette nation, répartissent les diverses forces sociales en fonction de leurs intérêts immédiats et historiques. Il en ressort que toutes les classes en lutte ne sont pas également “nationales”. Une différenciation fondamentale s’opère entre classes laborieuses et classes oisives ou classe capitaliste, « seigneurs du sol et du capital ». Le choc de leurs intérêts respectifs interdit une communauté des intérêts de classes comme représentant de façon unitaire celui de la nation qui se rapporte principalement, du moins au cours de la période considérée, à l’intérêt d’une classe donnée, en l’occurrence de celle des travailleurs :

« La société française n’est pas la nation française. Ne confondons pas deux êtres distincts et ennemis. La société, c’est le capital, la nation c’est le travail. »

En raison de leur nature de classe, l’opposition des classes capitalistes, à la nation est irréductible. Les pratiques qui y correspondent – telle la quête de profits – illustrent cette opposition :

« Dans la classe moyenne [bourgeoisie], la grande majorité composée de ces hommes qui n’ont de patrie que leur comptoir ou leur caisse, qui se feraient de grand cœur Russes, Prussiens, Anglais, pour gagner deux liards sur une pièce de toile. »

Dans la guerre de 1870, Blanqui ne peut manquer de voir une illustration de la relation entre les intérêts des classes, les formes du pouvoir politique et les attitudes à l’égard de la nation et de sa défense. Les classes riches, selon lui, bradent la nation, le pays :

« Les gredins, ce sont les fuyards millionnaires qui se sauvent avec leurs écus, abandonnant Paris et la France aux Prussiens. »

Les classes fortunées sont enclines à se soumettre, négocier avec l’ennemi (alors la Prusse) :

« Qui donc oserait soutenir qu’il n’y a pas à Paris des partisans d’une paix à tout prix. Ils ne forment qu’une minorité, c’est vrai, mais cette minorité est puissante par la fortune et par l’influence. »

Selon Blanqui, les classes liées au régime du capital, la classe dominante « ne voudrait pas d’une grandeur nationale qui briserait ses privilèges et ouvrirait ses portes à l’Égalité ». Cette classe ne peut envisager l’éventualité d’un changement de régime social et politique que la guerre et la défense patriotique serait susceptible d’entraîner.

« On avait déjà vu à l’œuvre la souveraineté du capital, dans l’intérieur. On va l’expérimenter pour les questions étrangères. »

« Plutôt l’étranger ! Plutôt la France rayée de la carte de l’Europe et le peuple français de la liste des nations ! L’idée nouvelle [socialisme] elle n’en veut pas […]. Au fond de cette guerre extérieure, il y a surtout la guerre intérieure. C’est le dedans qui décide du dehors. Le capital préfère le roi de Prusse à la République. Avec lui, il aura, sinon le pouvoir politique, du moins le pouvoir social […] La tranquillité dans l’opulence par la servitude des masses tel est l’idéal de la caste dominante. C’est pour l’amour de cet idéal que la France va périr. »

« Il nous reste à contempler les dernières convulsions de notre nationalité expirante. La Bourse saluera d’une hausse de 15 francs l’heure fatale. Car la patrie meurt, mais la Bourse ne se rend pas. »

Ce sont les classes du peuple qui ont intérêt à s’opposer à l’invasion et à la soumission, et seules elles peuvent soutenir la défense patriotique :

« Un peuple ne peut compter que sur lui-même ».

« La Démagogie [les masses du peuple] fera tête et ne se laissera point égorger qu’on le sache bien […] En 1870, elle est la Patrie. Elle défendra la Patrie avec les ongles et les dents. »

Les contradictions entre la bourgeoisie et le peuple à propos de la nation, reproduisent l’opposition entre progression et rétrogression historique. La bourgeoisie ne veut pas de “l’idée nouvelle”, du socialisme. Pour elle,

« périsse le progrès plutôt que l’autocratie absolue du capital ».

Ce sont les masses qui ont intérêt au progrès dans le domaine social :

« Qu’est-ce que le socialisme sinon l’amélioration du sort des masses. »

Le peuple n’a pas intérêt au démembrement de la nation qui résulte de la soumission à une puissance étrangère et s’accompagne nécessairement d’une régression sociale pour le peuple. Il n’en est pas de même pour les classes riches, bourgeoises, ou dominantes, qui veulent avant tout maintenir leur régime de propriété. C’est pourquoi elles se révèlent paralysées face à une invasion étrangère, craignant que l’appel au peuple n’entraîne dans la foulée ses passions “socialistes”.

« La guerre […] c’est la banqueroute, la guerre c’est [l’instauration de] la République. On ne peut soutenir la guerre qu’avec le sang du peuple […]. Il faudrait donc faire appel à ses intérêts, à ses passions, au nom de la liberté, de l’indépendance de la patrie ! Il faudrait remettre dans ses mains le pays que lui seul pourrait sauver. Plutôt cent fois voir [un envahisseur] que de déchaîner les passions de la multitude. »

La guerre de 1870 rend palpable l’opposition entre intérêts des classes au regard de la question : défense ou de la liquidation de la nation. Et, pour le peuple, la possibilité de mener la lutte politique dépend du maintien de l’indépendance de la nation.

« La nation sous le coup des baïonnettes allemandes, ne s’appartient plus. Or, pour disposer d’elle et statuer sur son avenir, elle doit être libre. Elle a donc perdu ce droit avec sa liberté. »
Considérant que les classes populaires veulent une défense de la nation tandis que la bourgeoisie accepte la soumission, la légitimité nationale revient ainsi pour Blanqui aux classes populaires et réside tout entière dans leur volonté de faire advenir la République Sociale.

Notes    (↵ Retourner au texte)

  1. 1. Bernard Peloille, De la Nation et de sa prise en charge et de sa déprise. D’une révolution l’autre, Inclinaison, 2016.
  2. 2. Auguste Blanqui (1805-1881), théoricien et propagandiste du mouvemement ouvrier français, participa aux révolutions de 1830 et 1848. Du fait de ses activités révolutionnaires, il passa une grande partie de sa vie en prison.

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