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Autour de la guerre en Ukraine – Enjeux énergétiques et nucléaires – Marc Endeweld – Guerres cachées. Les dessous du conflit russo-ukrainien (juin 2022)

 

Marc Endeweld, journaliste d’investigation, se centre dans son ouvrage, Guerres cachées. Les dessous du conflit russo-ukrainien (juin 2022) sur les questions énergétiques dont les enjeux se trouvent souvent masqués par les différents protagonistes, les médias et dans des déclarations officielles. Selon l’auteur, les grands de ce monde, USA, Russie, Chine et accessoirement la France et l’Allemagne se retrouvent au centre ukrainien d’une lutte sans merci pour le contrôle et l’utilisation du pétrole, du gaz et du nucléaire (civil et militaire).


Les belligérants

Cette guerre, qui selon l’auteur marque la fin de la mondialisation, pose l’Ukraine comme terrain de l’affrontement des USA contre la Russie, le but stratégique des USA étant d’anéantir l’économie russe, en prélude à une centration sur le lieu du jeu futur, l’Asie, et plus spécialement la Chine. La Russie pour sa part vise de propres objectifs  : conserver l’Ukraine dans une dépendance géopolitique et énergétique. Quant à l’Ukraine, celle-ci revendique une liberté relative, géostratégique et énergétique par sa soumission aux USA. Dans ce conflit, la Russie et l’Europe ne se présentent plus que comme des pions des USA, l’Europe ne se positionne plus au centre de la stratégie mondiale, mais à sa périphérie du fait de sa faiblesse économique et politique. La France, isolée en Europe se révèle pour partie impuissante face à la politique russe.


Les objectifs ukrainiens et russes

Pour les dirigeants ukrainiens, la dépendance nucléaire de l’Ukraine à l’égard de la Russie doit prendre fin, ce qui se pose en contradiction avec le Mémorandum de Budapest signé en 1994 et au Traité de non-prolifération. Ils veulent sortir de ce Traité, adhérer à l’Union Européenne et à l’OTAN, l’UE dispose de l’arme atomique afin de se défendre contre la Russie, ce qui constitue pour la Russie un casus belli. La Russie prétend en effet maintenir la dépendance énergétique et le contrôle nucléaire de l’Ukraine à son égard, en référence au mémorandum de 1994.


L’arme du gaz

Les différentes puissances européennes étaient très dépendantes du gaz russe (importations de 155 Mds de m³ soit 40 % de la consommation), et plus spécialement l’Allemagne. La stratégie russe du gaz était claire  : contourner l’Ukraine pour servir les pays européens sans payer les taxes ukrainiennes (but de NS1 en 2011). Pour les Ukrainiens c’était économiquement catastrophique. Par la suite, les responsables russes s’étaient réjouis de l’abandon du nucléaire sous le mandat d’Angela Merkel, imaginant pouvoir tenir les Allemands par le gaz.

Aujourd’hui, en réponse à la politique des sanctions concernant l’exportation du gaz russe en direction de l’Europe, on constate que la Russie est parvenue à substituer à ses marchés européens d’autres destinations, notamment la Chine (avec à court terme deux gros gazoducs).

En 2018, le Président Trump était parti en guerre contre le gazoduc Nord Stream 2 qui devait desservir l’Allemagne et les pays européens, ceci afin de favoriser l’industrie gazière des USA et ses débouchés à l’export. L’administration du Président Biden ne poursuit pas d’autres objectifs  : réduire la dépendance de l’Europe au gaz russe, la guerre a permis de confirmer cet objectif. L’Allemagne se trouve contrainte d’abandonner Nord Stream2 et en 2022, la Russie cesse ses exportations de gaz vers l’Europe, ce qui engendre de graves difficultés pour l’industrie allemande. Les USA ont alors toute liberté pour inonder l’Europe de leur GNL (Gaz Naturel Liquéfié). Ils jouent aussi une autre carte celle du nucléaire.


L’arme du nucléaire civil et militaire

Après les années 2000 et l’effondrement de l’URSS, la Russie redevient une puissance nucléaire civile active, en exportant des centrales et enrichissant l’uranium, elle détient une position dominante (dans les pays de l’Est, la Turquie, l’Égypte, le Bangladesh, la Finlande, l’Inde etc.). Les Américains ont pris beaucoup de retard par rapport à ces avancées. De leur côté, depuis la «  révolution orange  » (2004) une orientation s’affirme en Ukraine, elle vise à s’affranchir de la dépendance ukrainienne au nucléaire russe, telle qu’elle était définie dans le Mémorandum de Budapest (1994), celui-ci donnant tout pouvoir à la Russie sur la filière de l’électricité nucléaire.

Du côté des États-Unis, surtout sous la présidence de Trump, l’objectif est de contrer cette situation de préséance russe, et aussi chinoise, sur la vente de centrales nucléaires dans le monde. L’industrie électronucléaire américaine est dans ce but redynamisée, avec comme objectif à dix ans de contrer le gaz russe par le nucléaire américain. Ce serait le retour des USA dans les géostratégies énergétiques, mais aussi une clé pour affaiblir la puissance russe. Il va de soi que la Russie ne peut considérer cette offensive géostratégique que comme une provocation et une menace.


La politique du Président Zelinski

On sait que le Président Zelinski, au pouvoir depuis 2019 aspire à faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN. On sait moins qu’il aspire à disposer secrètement de l’arme nucléaire, ce qui rend le mémorandum de Budapest de 1994 caduc. La Russie craint que l’Ukraine dispose de quoi fabriquer des armes nucléaires, peut-être avec l’aide secrète des USA. L’Ukraine dispose pour ce faire des capacités techniques et humaines (des éléments anciennement soviétiques sont restés sur place depuis 30 ans) Pour la Russie, il s’agit d’un danger réel qui ne peut rester sans réponse.


Le découplage électrique Ukraine/Russie

De 2014 à 2022, L’Ukraine s’est petit à petit dégagée de ses liens avec la Russie sur le plan économique mais aussi énergétique. Ils ont procédé à la déconnexion progressive du réseau électrique sous contrôle russe pour se connecter au réseau européen. Dès 2019, un nouveau marché concurrentiel est créé préparant pour 2023 l’interconnexion européenne, c’est un exploit politique et économique. Pour la Russie, une telle stratégie contraire au Mémorandum de Budapest, est vécue comme hostile. Aussi bien, dès l’invasion, ils se positionnent militairement sur Tchernobyl et surtout Zaporijia, la plus grande centrale d’Europe, afin de continuer le contrôle sur le nucléaire ukrainien qu’ils considèrent comme leur propriété.


Les liens stratégiques énergétiques franco-russes remis en question par les USA

Les intérêts de la Russie et de la France étaient depuis environ trente ans intimement liés dans le domaine du nucléaire civil (Rosatom pour le nucléaire russe, Areva, EDF, Alstom pour les centrales, le combustible et les turbines françaises). Les turbines Arabelle d’Alstom (Belfort) équipaient plusieurs centrales nucléaires en Russie, ce qui faisait du russe Rosatom le principal client, entrant également pour 20 % dans une future filiale franco-russe (80 % pour EDF). Chaque réacteur russe rapportait 1 milliards de dollars à la sous-traitance française (Vinci, Bouygues, Dassault, Bureau Veritas etc.). En décembre 2021, un nouveau contrat et un nouvel accord stratégique sont en cours entre Framatome, CEA, EDF d’une part et Rosatom de l’autre. Mais les liens d’interdépendance franco-russe existaient aussi dans les secteurs gaz et pétrole  : Total était installé en Russie après avoir investi pour produire 17 % du gaz et du pétrole et posséder 24 % des réserves russes. Avec le russe Novatek et des capitaux chinois, Total a construit en Sibérie (Yamal) un complexe gigantesque de gaz naturel liquéfié (GNL) pour 27 milliards de dollars en 2013 pour contrer le GNL (de schiste) américain, ceci malgré les sanctions de 20141.


Le destin de l’Europe

Selon Marc Endeweld, qui cite T. Burkhard, le nouveau Chef des Opérations Terrestres, la guerre est revenue en Europe à portée de missiles et il faut se préparer à un affrontement de haute intensité. L’idée d’une Europe en paix depuis la chute du mur de Berlin est remise en question. Nous dépendons de tout  : dans le domaine alimentaire, les minerais, les produits de l’industrie lourde. Les USA pour leur part veulent devenir indépendants de la Chine pour la production. L’Europe est impuissante quoi qu’on en dise  ; le réarmement se fait pour la satisfaction des industriels américains et la fourniture de gaz se fait dans l’urgence, en ordre dispersé. Les Européens ont vécu depuis trente ans dans le court terme, sans stratégie commune dans l’énergie et le militaire, ce qui maintenant fonde leur dépendance à l’égard des États -Unis.


 

1. En riposte à cette expansion, il faut rappeler que le pouvoir américain avait réussi à sanctionner Total pour ses implantations en Iran, le groupe français se trouvant dans la dépendance de financements américains (90 % des opérations de financement se font par les banques américaines, 30 % de l’actionnariat est américain et son principal actionnaire est la multinationale de gestion d’actif BlackRock).

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