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À propos du pacte de non agression germano-soviétique (août 1939)

 

Le parlement européen, 80 ans après, «  révise  » l’histoire

Le 19 septembre 2019, les députés européens ont adopté une résolution portant sur une supposée “mémoire” européenne unifiée. Cette résolution se prononce sur l’importance de cette “mémoire” «  pour l’avenir de l’Europe  ». Comme l’indique le Monde diplomatique (novembre 2019), au moyen du «  concept de “régimes totalitaires”, utilisé dans le texte à vingt-deux reprises  », on prétend réunir «  dans un même opprobre l’URSS envahie et l’Allemagne envahisseuse, les vingt-six millions de morts soviétiques et leurs assassins  ».

«  La résolution ne s’en tient pas à ce révisionnisme rudimentaire  ». Elle postule que «  la seconde guerre mondiale a été déclenchée comme conséquence immédiate du tristement célèbre pacte de non agression germano-soviétique du 23 août 1939  ».

Ainsi l’Allemagne nazie ne serait pour rien dans le déclenchement de cette guerre. Elle en sortirait finalement “blanchie”, presque innocente. Toute part de responsabilités indirectes seraient de la même façon oubliée. Et plus spécialement, pour rester dans l’euphémisation, les “complaisances” d’autres puissances mondiales envers l’agression nazie (dont attestent notamment les accords de Munich en 1938).

Si l’on revient à l’histoire réelle, le scénario se révèle très différent, comme le confirme l’ouvrage déjà ancien que Roger Maria a consacré à ce Pacte De l’accord de Munich au pacte germano-soviétique, (l’Harmattan 1995).

 

LE PACTE GERMANO-SOVIÉTIQUE DANS LE CONTEXTE DE L’AVANT SECONDE GUERRE MONDIALE ET DES RELATIONS ENTRE PUISSANCES MONDIALES

 

Le 23 août 1939, Molotov et Ribbentrop signaient le pacte de non-agression germano-soviétique.

Étudier cet événement de façon isolée permet de conforter la thèse selon laquelle ce pacte aurait été la cause du déclenchement de la seconde guerre mondiale, l’URSS se voyant conférée une responsabilité décisive dans ce déclenchement. Si l’on considère au contraire cet événement d’un point de vue historique, on doit analyser ce tournant de la politique soviétique, non comme un point de départ, mais comme aboutissement d’un processus, lui-même déterminé par les contradictions entre puissances impérialistes et entre celles-ci et l’Union soviétique.

Les contradictions mondiales et l’évolution des relations diplomatiques

L’issue de la Première Guerre mondiale avait marqué l’échec momentané des puissances impérialistes vaincues (principalement l’Allemagne)  dans leur visée de repartage du monde à leur profit. Il est clair toutefois que les causes de la rivalité entre puissances n’avaient pas disparu. La question du repartage demeurait posée, ce n’était que partie remise. Il restait à se demander quand et sous quelle forme.

La donne en effet se trouve en partie modifiée. Les impérialismes en rivalité ne peuvent plus se livrer seulement entre eux à leur jeu meurtrier. Avec la révolution soviétique et l’édification d’un  régime socialiste, une partie notable du globe, jusqu’alors champ de libre expansion d’un capital (déjà “mondialisé”), se trouve soustraite à son emprise. Les diverses puissances ont un intérêt commun à reconquérir ce champ, en négociant entre elles de nouveaux “deals”, pour le repartage escompté. L’affermissement de la puissance soviétique, va ainsi les contraindre à infléchir quelque peu les “règles” du jeu. Sans supprimer les déterminations de leur combat interne, elles tendent à constituer un front, plus ou moins uni, face à un adversaire commun. Au pôle de la puissance, socialiste, il est clair qu’il est vital de tenir compte de ce double caractère d’un côté, rivalité interne entre puissances capitalistes, et, de l’autre unité relative du front contre le régime socialiste qui s’édifie en Russie. Ces déterminations permettent d’éclairer en partie le processus qui aboutit à la conclusion du Pacte germano-soviétique en 1939.

À la fin de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles est censé faire valoir la volonté commune du camp des vainqueurs du monde capitaliste (France, Angleterre, États-Unis) contre le principal vaincu de ce même camp. Les contradictions de ce camp se font toutefois jour à peine la guerre terminée, l’Angleterre et les États-Unis s’empressant de renouer une alliance avec l’Allemagne, en violation des clauses du Traité de Versailles. Ce traité prévoyait en effet une réduction considérable du potentiel militaire allemand, la démilitarisation de la Rhénanie, l’interdiction de tout Anschluss [Annexion] de l’Autriche, ainsi que des réparations de guerre principalement dues à la France. La non-ratification de ce traité par le Sénat de États-Unis le rend en partie caduc.

S’agissant du Traité de Versailles, l’URSS ne se positionne pas, quant à elle, en fonction de critères impérialistes. Après avoir subi des interventions des puissances capitalistes et des “armées russes blanches” qu’elles soutiennent, la priorité de l’URSS est la sécurité de son territoire, condition vitale pour construire les bases du socialisme. Cette priorité est plus que jamais d’actualité quand les nationaux-socialistes (les “nazis”) parviennent au pouvoir en Allemagne, en 1933. À partir de cette date et jusqu’en 1939, la priorité de la politique extérieure de l’URSS est  la «  sécurité collective  ». Certes, la Société des Nations (SDN) se présente pour elle en tant que réunion de puissances impérialistes pour se répartir les sphères d’influence, mais elle estime cependant nécessaire, en fonction des conditions concrètes, de se rapprocher de certaines d’entre elles. Plus précisément, des puissances qui n’ont pas intérêt à un nouveau repartage du monde, et qui en conséquence peuvent souhaiter le maintien de la paix. L’URSS entre alors à la SDN (septembre 1934) et s’efforce d’y faire prévaloir cette politique de «  sécurité collective  ». La diplomatie soviétique œuvre aussi à la réalisation d’un rapprochement franco-anglo-soviétique, contre l’expansionnisme  de l’impérialisme allemand.

L’URSS, après Versailles, n’était pas opposée à la révision de certaines clauses des traités, qui lésaient le peuple allemand, sans être pour autant favorable à la liquidation des clauses qui ôtaient à la puissance allemande les moyens d’une nouvelle expansion belliqueuse. Pour des motifs très différents, la France avait elle aussi intérêt à ce que soient appliquées les clauses de Versailles, qui lui garantissaient le maintien de son empire colonial, le retour de l’Alsace et de la Lorraine, les réparations dues par l’Allemagne, la réduction du danger militaire allemand. La France est alors considérée comme la première puissance du continent. Elle n’a aucun intérêt au bouleversement du statu quo en Europe et dans ses aires coloniales. Son intérêt objectif la pousse à un rapprochement diplomatique avec l’URSS (la Russie n’était-elle pas son allié stratégique «  naturel  »). Côté français, ce rapprochement doit beaucoup au rôle joué par Louis Barthou (aux Affaires étrangères en 1934), qui préconise un «  encerclement  » de l’Allemagne, par un jeu d’alliances occidentales et orientales. L’idée est d’arriver à un «  Locarno de l’Est  », obligeant l’Allemagne à respecter ses frontières à l’Est comme à l’Ouest (le traité de Locarno de 1925 ne garantissait que les frontières occidentales de l’Allemagne).

Louis Barthou est assassiné et le projet tourne court. Cet échec tient aux manœuvres de la diplomatie allemande, mais aussi britannique, qui ne tient pas à un encerclement de l’Allemagne qui aurait conféré à l’URSS un rôle déterminant, lui accordant des garanties contre les interventions des puissances capitalistes. Après la mort de Louis Barthou, Pierre Laval poursuit en apparence la même politique, jouant “la carte russe”, tout en “torpillant” les conditions de sa réalisation. En effet, l’accord franco-soviétique du 2 mai 1935, qui comprenait des clauses militaires, n’est pas suivi d’une réunion des états-majors, ce qui rend les clauses inopérantes. Il fournit en outre un prétexte aux dirigeants allemands pour dénoncer le pacte de Locarno, et se débarrasser de l’obligation de respecter les limites de leurs frontières occidentales. Cet accord inachevé marque la fin des tentatives de la France de mener une politique étrangère indépendante de celle de l’Angleterre.

Il peut paraître étonnant que les dirigeants anglais n’aient pas voulu l’encerclement de l’Allemagne, qu’ils aient travaillé à liquider les dispositions arrêtées à Versailles. Cette attitude s’explique à la lumière des intérêts impériaux de l’Angleterre. Celle-ci, première puissance coloniale et maritime, a pris dès 1919 l’Allemagne sous sa “protection”. Ainsi, la puissance vaincue, a pu, avec l’aide des États-Unis, se reconstruire par un flux de capitaux, de prêts, allant de pair avec un soutien donné à l’Allemagne pour la dispenser du paiement des réparations de guerre. La puissance allemande a pu dès lors se doter d’une base industrielle, qui se révèlera utile pour son effort de remilitarisation. Dans le cadre des contradictions entre puissances impérialistes, la politique anglo-américaine nuit aussi à l’impérialisme français, et affaiblit une position jugée prépondérante sur le continent. 

Le rôle diplomatique important joué par l’URSS dans les affaires européennes, son entrée dans la SDN, sa défense de la politique de «  sécurité collective  », vont cependant conduire les dirigeants anglais à infléchir (ou préciser) leur ligne politique. L’Allemagne, politiquement, économiquement et militairement redressée, peut maintenant être considérée comme un allié utile pour la reconquête des intérêts capitalistes perdus en Russie. Un nouveau “deal”, sous contrôle britannique, paraît possible, l’Allemagne se voyant concéder un terrain “régional” d’expansion à l’Est. La politique anglaise de “l’apaisement” à l’égard de l’Allemagne hitlérienne, associée à la personne de Chamberlain premier ministre en 1937, perd alors son caractère énigmatique. Sous prétexte de préserver la paix en Europe, la négociation avec l’Allemagne est privilégiée, en dépit du caractère ouvertement fasciste du régime. Par de nombreuses missions et correspondances diplomatiques, l’Angleterre fait comprendre au Reich qu’il n’existe aucun problème qui ne puisse être résolu par la négociation, y compris les problèmes liés à “l’espace vital”, revendiqué par la puissance allemande. On négocie, entre gens d’affaires, les «  problèmes  » qui peuvent entraver sa progression à l’Est (il faut comprendre par «  problèmes  », les peuples qui refusent d’être annexés au Reich  !). L’anti-bolchevisme affiché du gouvernement allemand sert les buts du gouvernement britannique. Poursuivant un objectif commun contre le communisme, on peut laisser le Reich allemand étendre son influence en Europe centrale et orientale, Berlin ne disputant pas à l’Angleterre l’hégémonie sur son empire et le reste du monde. Par la politique de «  l’apaisement  », le peu d’empressement à privilégier une politique de sécurité collective, l’impérialisme anglais ne favorisa pas, c’est un euphémisme, les conditions d’un maintien de la paix.

Bien entendu, la puissance allemande promouvait la révision des traités, qui lui ouvrait la porte à un nouveau repartage du monde. Bénéficiant du soutien financier anglo-américain, d’une certaine indulgence de la part de plusieurs dirigeants français, des milieux financiers et industriels, l’expansionnisme allemand se retrouve mis sur de bons rails, ses visées prenant le masque d’une croisade contre le bolchevisme (voir le pacte “anti-Kominterm” conclu entre l’Allemagne et le Japon en novembre 1936, puis par l’Italie l’année suivante).

De la même façon, l’anticommunisme scellait l’alliance entre les trois puissances aspirant à une redéfinition des sphères d’influences (Allemagne, Japon, Italie), elle inclinait les autres à fermer les yeux sur les agressions à l’égard des petites puissances à l’Est. Pour les puissances occidentales (Angleterre, États-Unis, et dans une certaine mesure la France), l’antibolchevisme pouvait aller dans le sens de leurs propres desseins. En France, au «  plutôt Hitler que Blum  » des adversaires du Front Populaire (1936), devait succéder en 1938, le «  plutôt Hitler que Staline  ». On pouvait imaginer en outre rester maître de la situation en limitant la poussée allemande à l’Est. Du côté des signataires du pacte anti-Komintern, il s’agissait plutôt de se répartir des zones, à l’Italie devait revenir la Méditerranée, au Japon la Chine, la Mandchourie et la partie la plus orientale de l’URSS, à l’Allemagne, l’Europe centrale, l’Europe orientale et notamment l’Ukraine, (considérée dans les projections allemandes comme le futur “grenier à blé” du Reich). Cela permettait aussi à l’Allemagne de faire pression sur l’URSS, en menaçant de cautionner une avancée japonaise à ses frontières orientales. L’anti-bolchevisme des dirigeants allemands traduisait leur inquiétude face aux efforts diplomatiques soviétiques pour mettre en place la “sécurité collective”, et, la possibilité d’une alliance franco-anglo-russe qui aurait brisé leurs espoirs d’expansion.

Après la remilitarisation de la Rhénanie, qui s’opère en 1936, sans opposition aucune, l’Allemagne peut sereinement absorber l’Autriche et annexer, avec l’accord occidental, une partie de la Tchécoslovaquie. 

Les étapes de l’agression “contrôlée” de la puissance allemande

Pour la partie visible de la succession des événements, la remilitarisation de la Rhénanie par l’Allemagne constitue, le premier épisode de l’enchaînement des événements qui devaient conduire à la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi le coup de grâce porté aux clauses militaires du traité de Versailles. L’opération ne constituait pas même un coup de poker, dans la mesure où Hitler s’était assuré la neutralité de l’Angleterre. La France seule aurait pu répondre à la provocation. Dans le contexte du Front populaire, elle ne le fit pas. Ne pouvant compter ni sur l’Angleterre, ni sur l’accord franco-russe saboté de 1935, les dirigeants français laissèrent faire, quoique l’armée française fut alors considérée comme étant supérieure à celle de l’Allemagne. Cet événement signa la fin de la crédibilité diplomatique de la France.

Fort de ce succès, en violation du traité de Versailles, l’Allemagne put se tourner vers l’Autriche et l’intégrer par un Anschluss, rendu effectif le 13 mars 1938. L’Italie se déclara «  neutre  », l’Angleterre décida de ne pas se prononcer sur «  la question de l’autonomie autrichienne  ». L’URSS, en revanche, demanda une réaction commune aux gouvernements anglais et français (note du 18 mars 1938 adressée à ces gouvernements). Le  gouvernement soviétique se déclarait prêt

«  à entreprendre immédiatement les autres puissances […] l’examen des mesures pratiques qui seraient destinées à enrayer le développement de l’agression et à supprimer le danger […] d’un nouveau carnage mondial  ».

Cette proposition d’un «  front de la paix  » fut rejetée par le gouvernement anglais.

La conférence de Munich (1938) constitua un second pas dans l’avance de «  l’agression contrôlée  » de la puissance allemande. L’URSS ne fut pas conviée à la conférence qui «  régla pacifiquement  » le sort des minorités “allemandes” de Tchécoslovaquie par l’intégration du territoire correspondant au Reich. En toute connaissance de cause, la France et l’Angleterre ignorèrent la volonté soviétique clairement exprimée de tenir ses engagements vis-à-vis de la Tchécoslovaquie menacée. Ce deuxième refus de constituer un front commun avec l’URSS montre que la Conférence de Munich a bien constitué un triomphe pour la politique britannique de «  l’apaisement  », à défaut de constituer une victoire pour la paix. La conférence devait soi-disant permettre de «  contenir  » par la «  négociation  » l’expansion allemande, contrôler une progression «  raisonnable  » du Reich vers l’Est, et par là servait à briser l’influence de Moscou en Europe. La conférence fut suivie par la signature d’un accord entre l’Angleterre et l’Allemagne, accord dont on parle moins que du pacte germano-soviétique.

Le coup de force hitlérien de mars 1939, instituant un protectorat allemand sur la Bohème Moravie et indirectement sur la Slovaquie, fut lui-même une violation de «  l’accord de Munich  », censé endiguer la poursuite de l’agression de la puissance allemande à l’Est. Ce coup de force déçut quelque peu Chamberlain qui déclara aux Communes, le jour même de l’entrée des Allemands à Prague, le 15 mars 1939  : «  Je regrette naturellement de tout cœur ce qui vient de se produire  : mais nous ne devons pas pour autant nous détourner de notre voie  ». En clair poursuivons sur «  notre voie  » de rapprochement avec le Reich, en dépit de notre «  déception  », Hitler n’est pas un gentleman, mais cela ne doit pas nous conduire à abandonner «  à la légère  » notre politique, au prétexte d’annexion de la Tchécoslovaquie  ! La voie suivie était pourtant celle qui avait permis le réarmement de l’Allemagne, et la réunion des conditions d’un déclenchement anticipé de la guerre. Cette politique était contraire à celle que défendait Churchill. Celui-ci soulignait dans ses Mémoires 

l’incontestable bonne volonté de la Russie soviétique de se joindre aux puissances occidentales et de marcher à fond avec elles pour sauver la Tchécoslovaquie.

On a parlé d’aveuglement, de lâcheté et d’incompétence pour qualifier les choix opérés notamment lors de la Conférence de Munich. La suite des événements autorise à penser qu’une telle politique visait à créer les conditions d’un affrontement germano-soviétique, qu’on pouvait imaginer, à terme, favorable aux intérêts britanniques, comme à ceux d’autres fractions impérialistes d’ailleurs.

La politique “d’apaisement” envers l’Allemagne et l’anéantissement des derniers espoirs de paix

Si la politique «  d’apaisement  » avait été une «  erreur de bonne foi  », en vue de «  sauver la paix  », elle n’aurait pas dû survivre à l’agression contre la Tchécoslovaquie, elle aurait dû conduire à conclure des accords effectifs avec l’URSS. Il n’en fut rien. L’Angleterre avait interrogé l’URSS sur l’attitude qu’elle prendrait en cas d’agression sur des pays proches d’elle (Roumanie et États Baltes), lui demandant de garantir ces territoires en cas d’agression allemande. Si les conditions d’une telle demande n’étaient pas entièrement satisfaisantes pour Moscou, des consultations diplomatiques se mirent toutefois en place entre Anglais, Français et Soviétiques. Ces consultations furent vite court-circuitées, l’Angleterre accordant, sans consulter l’URSS, sa garantie à la Pologne le 30 mars 1939, ainsi qu’à la Roumanie et à la Grèce le 13 avril suivant. La France fit de même. Cette politique  des garanties contre une agression extérieure constituait un revirement de la politique britannique qui avait rejeté à peine deux semaines auparavant toute idée d’alliance aléatoire pouvant entraîner l’Angleterre dans un conflit où ses intérêts vitaux ne seraient pas en jeu.

Que penser alors d’un tel revirement  ? Pourquoi accorder à la Pologne qui avait participé avec l’Allemagne au dépeçage la Tchécoslovaquie, une garantie refusée à l’Autriche et aux Sudètes en 1938 et au reste de la Tchécoslovaquie en 1939  ? Ceci tandis que l’URSS proposait – une fois de plus – une grande alliance de garanties communes, seule capable d’arrêter l’engrenage  ! Là où Churchill voyait une politique stupide pavée de «  bonnes intentions  », ne peut-on plutôt voir un calcul froid la garantie accordée à la Pologne permettait de nouveau d’écarter l’établissement d’un «  front de la Paix  », en conférant à l’Angleterre l’initiative. Il s’agissait pour elle, comme à Munich, de s’interposer comme médiateur dans le règlement de «  la question polonaise  », puisque c’était désormais au tour de la Pologne de faire les frais de l’appétit du Reich. La «  crise  » polonaise donnait à l’Angleterre une nouvelle occasion de ne pas se couper de toute alliance avec l’Allemagne et d’aller vers un «  Munich polonais  ». De plus, en faisant pression sur le gouvernement polonais pour que celui-ci négocie avec le Reich, l’Angleterre n’abandonnait pas son grand dessein de voir les armées germano-polonaises se tourner contre l’URSS.

Il y eut cependant dans le même temps de nombreux contacts entre l’Angleterre et l’URSS, celle-ci ne cessant de faire des propositions concrètes pour une grande alliance indispensable au maintien de la paix. Les dirigeants anglais continuaient cependant à contrecarrer la réalisation d’une telle alliance en multipliant les contre-propositions inacceptables pour la sécurité de l’URSS. On exigeait tout sans rien donner en échange. On proposait aux Soviétiques de s’engager à venir au secours des pays risquant d’être attaqués par l’Allemagne, sans que ni la France, ni l’Angleterre ne s’engagent en retour à aider l’URSS si cette dernière, suite à l’envahissement desdits pays, se trouvait elle-même aux prises avec l’Allemagne dans un conflit direct. On demandait donc aux Soviétiques d’assumer seuls les conséquences de la politique des «  garanties  » de l’Angleterre et de la France. De plus, l’URSS ne devait aider lesdits pays que si ceux-ci le jugeaient «  désirable  ». Dans la négative, les Soviétiques étaient invités à regarder, impuissants, le Reich occuper la Pologne, la Roumanie, et les États Baltes, pour ensuite faire face eux-mêmes aux armées allemandes sur un front de plusieurs milliers de kilomètres  ! Dans le rapport présenté par Staline au XVIIIe Congrès du PCBUS (10 mars 1939), celui-ci appelle à 

«  être prudents et ne pas permettre que les provocateurs de guerre, habitués à faire tirer les marrons du feu par les autres, entraînent notre pays dans les conflits  ».

La dernière chance de sauver la paix prit la forme d’une conférence appelée «  conférence de Moscou  » qui se tint de juin à août 1939. Pressée par une opinion publique favorable à une alliance avec l’URSS, l’Angleterre dut accepter ce projet de conférence à trois  : France, Angleterre et URSS. Moscou exigeait que l’accord oblige les trois puissances à une collaboration militaire totale et réciproque en cas de guerre menée par l’Allemagne contre des pays limitrophes de l’URSS, ce qui aurait constitué une «  agression directe  » de l’Union soviétique. La France et l’Angleterre devaient dans ce cas, intervenir contre l’Allemagne, conjointement avec l’URSS. En fonction de la même logique, les Soviétiques exigeaient, en cas d’attaque allemande vers l’Est ou vers l’Ouest, de pouvoir faire passer leurs troupes à travers la Pologne. Ces deux conditions furent refusées et entraînèrent l’échec de la conférence. Les Pays Baltes, dont les gouvernements étaient proches de celui de Berlin, se déclarèrent prêts à mener une guerre sur deux fronts contre l’Allemagne en cas d’attaque  : contre l’URSS, si celle-ci pénétrait dans leurs territoires pour marcher contre les armées allemandes  ! Quant à la Pologne, elle s’opposait catégoriquement au passage des troupes russes sur son territoire. L’Angleterre de son côté, ne voulait pas voir se concrétiser un scénario, défavorable à sa politique étrangère en cas d’accord, l’URSS aurait pu traverser la Pologne et vaincre l’Allemagne aux côtés de la France et de l’Angleterre. Il était inconcevable pour Londres de voir Moscou gagner une telle influence en Europe, même si cela sauvegardait le dernier espoir de la paix.

La conférence de Moscou donna lieu à une consultation des états-majors des trois grands pays, qui échoua. On exigeait que l’URSS ne vienne en aide aux pays attaqués que si ces derniers l’appelaient à leur secours. On revenait ainsi à la situation de départ la question de la Pologne et des Pays baltes était laissée en suspens, laissant à l’Allemagne la porte ouverte à l’Est. L’Angleterre, qui depuis mars 1939 exerçait des pressions sur la Pologne pour que cette dernière négocie avec l’Allemagne, ne fit rien pour l’inciter à accepter les conditions de l’Union soviétique. Les dirigeants allemands, qui craignaient, plus que tout, la réalisation d’un accord franco-anglo-soviétique, furent vite rassurés, la mission militaire britannique envoyée à la «  consultation des états-majors  » n’avait aucun mandat de décision. L’ambassadeur du Reich à Londres put dire à son propos qu’elle avait 

«  pour but de connaître la combativité de l’armée soviétique plutôt que de conclure des accords militaires  ».

La conférence de Moscou était condamnée d’avance. Paris et Londres eurent beau rejeter la responsabilité de l’échec sur Moscou, ils venaient de refuser la dernière possibilité concrète d’un accord. C’est dans ce contexte international, et du peu de confiance que l’Union soviétique pouvait accorder aux puissances occidentales, que l’URSS dut s’orienter vers la conclusion d’un pacte de non agression avec l’Allemagne.

Le Pacte germano-soviétique et la soi-disant «  trahison  » russe

On a reproché à l’URSS d’avoir mené un double jeu en négociant d’un côté avec les puissances occidentales et de l’autre avec l’Allemagne. On insiste beaucoup moins sur le double jeu des puissances occidentales et sur la politique britannique de rivalité-alliance avec l’Allemagne, qui mettait l’URSS à la merci de ses activités souterraines. En juillet 1939, pendant la conférence de Moscou, des conversations diplomatiques «  secrètes  » avaient lieu à Londres entre le Reich et l’Angleterre. L’URSS, à juste titre, pouvait craindre la fusion entre le front anti-soviétique incarné par le pacte anti-Komintern et le front anti-soviétique occidental, attesté par le rapprochement anglo-allemand. Il était vital pour l’URSS de préparer les conditions de sa défense dans le contexte stratégique qui se mettait en place. Il reste que si la diplomatie soviétique avait deux cartes dans son jeu, c’est la carte de l’alliance occidentale, du «  front de la paix  », qui avait sa priorité. De plus les discussions que l’URSS conduisit avec l’Allemagne étaient très différentes de celles menées en juillet 1939 à Londres entre Anglais et Allemands. Les Britanniques voulaient rassurer les Allemands sur la conférence de Moscou (n’envisageant pas d’accord consistant avec l’URSS). Ils proposaient un nouveau marchandage, concernant des pays auxquels ils avaient pourtant accordé leur garantie, dans le cadre d’une possible répartition anglo-allemande des sphères d’influence. Pour l’URSS, il s’agissait d’abord de la protection de la patrie socialiste, et tout rapprochement germano-soviétique devait passer (préalable exigé par Moscou) par l’abandon, par la puissance allemande, de ses sphères d’influences orientales, du moins celles qu’elle convoitait (Pays Baltes, Pologne entière, Roumanie). C’est l’URSS pourtant, qui après la signature du pacte germano-soviétique, fut accusée de «  trahison  », alors que l’accord anglo-allemand en discussion à Londres aurait conduit (comme après Munich) à un accroissement territorial et stratégique du Reich. Le Pacte germano-soviétique limita, quant à lui, l’avancée du Reich en Europe orientale.

Les négociations germano-soviétiques débutèrent en avril 1939, à l’initiative des Soviétiques. Elles avaient au début pour but, du côté soviétique, de faire pression sur l’Angleterre et la France pour la conclusion d’un accord. Il s’agissait ainsi de trouver des «  contre-assurances  » côté allemand, pour faire échec aux conversations anglo-allemandes de juillet 1939 et desserrer le front germano-nippon contre la Russie. Un extrait de la presse japonaise de l’époque atteste du sens stratégique décisif de la politique soviétique.

«  Dans les milieux militaires autorisés on croit que le gouvernement soviétique cherche actuellement un rapprochement avec Berlin, dans le but de séparer l’Allemagne du Japon [et parce que ce gouvernement] craint que les puissances occidentales abandonnent, à la longue, la Russie.  »

Du côté allemand, après les conversations anglo-allemandes, Berlin souhaitait dans l’immédiat arriver à un accord politique avec Moscou, certains que les Anglais ne feraient rien pour faire aboutir la conférence de Moscou. Envisageant d’en découdre aussi avec leurs rivaux impérialistes, les dirigeants allemands voulaient rapidement obtenir la neutralité du seul pays pouvant sérieusement ruiner leurs visées expansionnistes. L’URSS posa ses conditions, elle mit en avant à propos des Pays baltes, de la Roumanie et de la Pologne, les points sur lesquels elle n’avait rien obtenu de la part de la France et de l’Angleterre. Début 39, l’URSS obtint ce qu’elle demandait, signe d’un tournant provisoire de la politique anti-soviétique de l’Allemagne, conduisant à l’isoler du Japon, de l’Italie et, fatalement, de l’Angleterre. La signature du document avec l’URSS limitait les prétentions de l’Allemagne à l’Est «  entre la Baltique et la Mer Noire  ». Ce recul diplomatique était à la mesure du poids de l’URSS dans la balance. En même temps, la signature du pacte désignait à la face du monde, quel était l’adversaire le plus conséquent de l’Allemagne, l’Union soviétique. Par la promesse de non-agression l’Allemagne abandonnait (pour un temps limité) ses visées agressives contre l’URSS, pour ne pas se trouver face à un tel adversaire, dans le cadre d’une guerre sur deux fronts.

La signature du pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939 fut accompagnée de la signature de protocoles secrets. Ces protocoles concernaient notamment la Pologne. L’URSS estimait qu’en ayant refusé le passage des troupes soviétiques sur son territoire, la Pologne, sous la pression anglaise, avait entraîné l’échec de la conférence de Moscou en même temps que sa propre condamnation. Il n’était dès lors plus question pour l’URSS de sacrifier la sécurité de son propre territoire pour préserver l’intégrité du territoire polonais dont l’invasion était programmée dès juillet 1939 par Hitler. Les Soviétiques agissaient sous la contrainte des faits et des politiques suivies par les impérialistes en rivalité. Ils devaient envisager le problème polonais du point de vue stratégique, empêcher l’Allemagne de régler seule cette question. La Pologne fut en ce sens «  partagée  » en deux «  sphères d’influence  », l’une pour le Reich, l’autre pour l’URSS, partage qu’évoque Churchill dans ses Mémoires

Du côté des Soviets, il faut dire que c’était une nécessité vitale de maintenir les armées allemandes sur des bases de départ aussi éloignées à l’Ouest que possible […]. Il leur fallait occuper les États baltes et une grande partie de la Pologne par la force ou par la ruse avant d’être eux-mêmes attaqués. La politique qu’ils pratiquaient dénotait un grand sang-froid et elle était même, en l’occurrence, réaliste au plus haut point.

Il fallait à tout prix empêcher que les puissances soi-disant opposées au Reich parviennent à réitérer «  le coup de Munich  » pour la Pologne. Le pacte germano-soviétique permettait à l’URSS de gagner du temps et de se fortifier en vue de l’affrontement inévitable avec l’impérialisme allemand. Il donnait des conditions d’un renouement de l’alliance avec les pays qui avaient fait échouer les négociations. Staline lui-même n’avait aucune illusion sur la nature de ce pacte  ; il voulait le signer pour cinq ans, Hitler pour vingt-cinq ans, la barre fut ramenée à dix. Ce pacte permit à l’URSS de préparer sa défense et la contre-offensive, il fut d’une importance stratégique capitale pour la victoire finale, il créait, à l’Est, une ligne de front située beaucoup plus à l’Ouest que celle à laquelle aurait abouti le règlement anglo-allemand des questions polonaises, roumaine et balte. On ne peut donc le réduire, du point de vue stratégique, à la “simple” question de la sécurité du territoire soviétique.

Si l’on analyse les conditions concrètes qui ont conduit à la signature du pacte germano-soviétique, on peut percevoir que celui-ci se présente comme la conséquence de la politique des grandes puissances, non comme la cause du déclenchement de la seconde guerre mondiale. Ce pacte contribua certes à modifier l’enchaînement et les formes prises par cette guerre, obligeant les pays capitalistes à prendre leurs responsabilités. Il contraignit l’Angleterre à entrer résolument en guerre contre la puissance allemande nazifiée, contre son ambition de réalisation d’un condominium, sous contrôle britannique. Le jeune régime soviétique, pour sa part affirmait par ce pacte qu’il n’était pas question pour lui de se laisser sacrifier sur l’autel des intérêts impérialistes, fauteurs de guerre.

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