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La perspective socialiste au XIXe siècle, en tant que résolution de l’anarchie du régime économique capitaliste

– I – Entre 1830 et 1848, se développent des visées socialistes que l’on peut qualifier de “modernes”. Elles sont pleinement contemporaines des débuts de l’extension du régime économique capitaliste et posent, sur la base d’une analyse de la base économique de la société capitaliste, la nécessité de sa transformation générale, si l’on a en vue de résoudre ses contradictions fondamentales et ses effets destructeurs. Une telle visée, incluant ou non des phases de transition, peut être exprimée sous le vocable socialisme, mais aussi par des mots d’ordre généraux, tels que Révolution sociale ou République sociale exprimant la nécessité de transformer la base de la société, d’aller au-delà de révolutions se limitant à l’ordre politique. Parmi les théoriciens de ce socialisme moderne, se fondant sur une analyse des caractères d’ensemble de la base économique on peut citer François Vidal, Louis Blanc, Pecqueur, avant même qu’un auteur tel que Marx ne propose de formulations pleinement théorisées de cette base. Ceux qui posent la perspective socialiste en tant que nécessité d’une transformation globale de la base économique de la société, posent aussi, pour faire advenir un nouveau régime social, la nécessité de disposer d’un levier politique général capable de mettre en œuvre cette transformation, réalisant l’unité de volonté d’un peuple souverain, allouant alors un rôle décisif à l’État en tant que lieu politique général et à sa prise en mains sous la direction d’une volonté générale.
– II – À côté de ce courant, il faut mentionner les idées développées par ceux qui n’envisageaient pas encore la nécessité de transformer la société dans sa base économique. De telle idées se sont trouvées précocement développées au cours de la même période, voire la précédant, par des auteurs exprimant ce que l’on a pu nommer un socialisme des “ouvriers de métier”. Ceux-ci, encore marqués par l’Ancien régime d’organisation du travail, développaient des aspirations surtout centrées sur le monde de la production immédiate et la situation spécifique faite aux ouvriers, sans prise en compte de la structure générale du régime capitaliste de production et d’échange. Ces ouvriers qui pouvaient dénoncer l’exploitation du travail visaient en partie à revenir aux anciens modes d’organisation de la production, notamment corporatiste. Ce courant pouvait aller de pair avec un certain rejet de la sphère politique en tant que lieu général des affaires de toute la société. À noter que ce que l’on a pu nommer “mouvement ouvrier socialiste”, se composait pour l’essentiel d’artisans, anciens compagnons et toute personne véritablement détentrice d’un “métier”, il a dominé le champ organisationnel 36 en France jusqu’en 1848, et même sous Napoléon III, voire jusqu’à la Commune. Avec la transformation de la donne économique, les progrès de l’industrialisation, il devait se prolonger sous d’autres formes, notamment avec le syndicalisme révolutionnaire à la charnière du XIXe et du XXe siècles.
Les différents projets, les courants n’étaient pas toujours clairement distingués dans leurs principes constitutifs. Rétrospectivement on a pu avoir tendance à penser que le second courant se posait comme “l’embryon” du premier, ou sa forme “primitive”. De fait, par une analyse plus attentive, il est utile dans l’analyse de mettre en évidence une distinction claire entre les “configurations” des deux courants  : – au regard des visées poursuivies,– au regard des formes d’organisation  :– au regard du type de prise en compte de réalité économique et sociale (globale ou fragmentaire)– au regard de la place et du rôle alloués aux instances politiques. Précisons que la distinction entre les deux courants n’est nullement réductible à celle posée dans une brochure de l’époque par Engels et Lafargue, entre “socialisme utopique” et “socialisme scientifique” 37.

Des principes et visées historiques distinctes
– Le premier courant, centré sur une transformation générale de la société, prenait appui sur une analyse d’ensemble de sa base économique, posant comme finalité pour le socialisme  : la nécessité de résoudre les contradictions du régime capitaliste de production et d’échange (son anarchie constitutive et destructrice). Ceci pouvant inclure la possibilité d’une “phase de transition” au niveau général, et non au moyen de structures alternatives supposées possibles au sein de la “logique” interne du régime économique.
– Le second courant, centré sur l’organisation immédiate du travail et de la production, ne visait pas explicitement la transformation d’ensemble de la société et de son mode de production et d’échange. Ou, dit autrement, la visée n’était pas de “sortir” de la “logique” immanente du Capital – telle qu’elle se déploie d’abord dans la sphère de la circulation. 38 Ce qui était visé consistait  : soit à un retour aux anciennes formes d’organisation du travail, soit au maintien des positions acquises au sein de la nouvelle donne économique. Ceci par des tentatives d’imposer des structures “alternatives” dans la base productive, assurant un certain pouvoir aux catégories ouvrières “de métier” (au moyen de coopératives, d’associations de producteurs…) 39. Comme aujourd’hui, des revendications de “démocratie à la base” pouvaient y être associées, extérieures aux leviers politiques généraux (État en tant que lieu politique), se centrant autour de formes de participation dans la sphère productive et plus tard dans tous les rouages de la société [cf. autogestion, démocratie participative, etc.]
Ne se référant pas toujours au monde ouvrier, on a vu se multiplier d’autres courants, fondés sur les mêmes principes  : défense d’intérêts spécifiques, volonté de se faire une place dans le cadre d’une une société régie par la logique capitaliste, sans prise en compte de la structure générale de ce régime de production et d’échange, ni de l’intérêt général de toute la société. La prise en mains des leviers politiques n’était pas en tous les cas exclue, mais elle ne visait pas véritablement à une modification fondamentale de la base économique, la lutte purement politique, ou politicienne se trouvant, comme aujourd’hui alors au premier plan.
Bien qu’il s’agisse de “configurations” internes distinctes, ces courant opposés, qui se sont combattus, n’en ont pas moins cheminé parallèlement, leurs distinctions ne se donnant pas toujours à voir clairement. Cet enchevêtrement a comporté et comporte des incidences pour ce qui touche aux principes d’organisation politique. En France, au sein du mouvement effectif, ces courants se sont développés dans une ambiguïté presque constante, avec prévalence relative de l’un ou l’autre au sein de l’amalgame. S’il est possible en théorie de bien distinguer entre les diverses visées, il n’est pas possible, dans la pratique, de dresser de “muraille de Chine” entre ces courants, bien qu’il importe de toujours avoir en tête leurs distinctions, essentielles du point de vue des principes d’organisation politique et de la finalité de la lutte historique. Si du point de vue de leurs principes internes, les courants s’opposent, et se sont jusqu’à un certain point combattu, ils ont pu parfois se trouver conjugués de façon positive, lorsque c’était le premier courant qui “avait la main”, comme à la fin du XIXe siècle et lors de l’entre-deux-guerres, et jusque dans les années 80 du siècle dernier. À noter que dans la situation contemporaine, c’est le second courant qui s’impose, alors que l’analyse des données de la situation pose la nécessité d’œuvrer à la prédominance du premier. Il importe ainsi de caractériser ce qui est en jeu dans les revendications socialistes.

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