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Petite biographie politique – Louis Auguste Blanqui

Né en 1805 à Puget-Théniers dans les Alpes- maritimes, Auguste Blanqui a consacré plus d’un demi-siècle de sa vie à la cause de l’émancipation des classes populaires. Il a commencé à défendre cette cause en1824 à dix-neuf ans, sous le règne de Charles X (période de la Restauration), l’a poursuivie sous la monarchie de Juillet (18301848). Puis il participe activement à la révolution de 1848, continue sa lutte sous le second Empire (18521870), la Commune, et enfin sous la IIIe République, jusqu’à sa mort en 1881.

Le plus souvent malade, Auguste Blanqui a passé pour raisons politiques trente-sept années en prison. Bien que sa cause n’ait pas triomphé de son vivant, du moins dans toutes ses dimensions, jamais il ne s’est découragé. À juste raison, car beaucoup des principes et idées qu’il a contribué à développer ont permis d’élever la conscience des classes populaires, de dresser pour elles des perspectives historiques, celles-ci à certains moments de l’histoire, ont abouti à des réalisations durables.

Nous proposons dans ce numéro deux articles pour rendre hommage à Auguste Blanqui : un aperçu de ses idées politiques, des données biographiques.

I — Les idées politiques d’Auguste Blanqui

La pensée d’Auguste Blanqui occupe une place importante au sein des courants socialistes et communistes français. Sur beaucoup de points : l’analyse des contradictions du régime capitaliste et de la nécessité de son dépassement historique, la nécessité de l’organisation pour que les classes populaires puissent s’emparer du pouvoir politique, il a précédé les grandes théorisations du socialisme et du communisme modernes, notamment celle de Marx.

Certes Blanqui n’a pas proposé, comme le fera plus tard Marx, de théorie achevée des fondements économiques de la société de son temps. Pour l’essentiel, ses œuvres sont composées d’articles, de textes de défense à l’occasion des procès qui lui ont été faits, d’instructions et d’appels à la population. Représentant des premiers courants du communisme français, les écrits qu’il a laissés s’inscrivent dans une optique révolutionnaire qui le distingue des courants utopistes de l’époque. Il perçoit en effet précocement que la société socialiste n’est pas la simple projection de systèmes d’idées, mais la résultante générale d’un processus historique.

Le communisme n’est pas une utopie. Il est le développement normal de tout un processus historique il n’a aucune parenté avec les trois ou quatre systèmes sortis tout équipés de cervelles fantaisistes. 

La critique du capitalisme

La critique du capitalisme que propose Blanqui, on l’a dit, ne se situe pas au même niveau théorique que l’analyse qu’en proposera Marx dans le Capital. On doit cependant noter que dans un article de 1834(Marx n’a alors que dix ans), article il est vrai partiellement retouché par la suite, Blanqui pose la question de l’exploitation du travail ouvrier et de la contradiction qui l’oppose au capital, en raison de l’appropriation par celui-ci des instruments de production.

Ce droit de propriété s’est étendu […] du sol à d’autres instruments, produits accumulés du travail, désignés par le nom générique de capitaux. Or, comme les capitaux, stériles d’eux-mêmes, ne fructifient que par la main-d’œuvre, et que, d’un autre côté, ils sont nécessairement la matière première ouvrée par les forces sociales, la majorité, exclue de leur possession, se trouve condamnée aux travaux forcés au profit de la minorité possédante.

La servitude, en effet, ne consiste pas seulement à être la chose de l’homme ou le serf de la glèbe. Celui-là n’est pas libre qui, privé des instruments de travail, demeure à la merci des privilégiés qui en sont détenteurs. C’est cet accaparement et non telle ou telle constitution qui fait les masses serves.

Blanqui souligne les effets de cet accaparement pour les ouvriers, ceux-ci, dans la dépendance du capital, sont soumis à son mouvement immanent (comme il en est aujourd’hui d’ailleurs le cas lors de la survenue des crises périodiques qui affectent ce régime).

« Voilà les fruits de l’appropriation des instruments du travail ! Pour les masses des labeurs incessants, à peine l’obole d’une journée, jamais de lendemain sûr, et la famine, si un caprice de leur colère ou de peur retire ces instruments ! »

Bien que l’on puisse estimer insuffisamment théorisée son analyse du mode d’organisation de la société bourgeoise qui se développe dans l’orbe du mode de production capitaliste, Blanqui n’en a pas moins clairement perçu que la “logique” anarchique du développement capitaliste ne peut être magiquement supprimée par des mesures ponctuelles, tant que celles-ci s’insèrent dans le cadre de ce mode de production. Ainsi, à propos des projets de coopération, défendus à l’époque par les adeptes de Proudhon, et qui pouvaient paraître une solution pour les ouvriers, il montre que tant que l’on reste dans le capitalisme, ces tentatives ne peuvent supprimer l’exploitation de la force de travail, elles ne font qu’en changer la forme.

Selon lui les sociétés de coopération ouvrière reposent sur la même base que toutes les sociétés commerciales. Il distingue cependant trois formes de sociétés coopératives :

— la société de consommation, qui selon lui comporte peu de risques, mais aboutit à un résultat pratiquement nul par rapport au problème posé.

— la société de crédit qui n’est qu’une mystification, un mirage, qui en séduisant les ouvriers, les entraîne dans des calculs d’intérêt et le dédale des combinaisons financières.

— enfin la société de production, « le piège le plus funeste où puisse tomber le prolétariat ». Sous couvert de le rendre maître de son destin, ce type de société aboutit à la division en deux classes (les nouveaux patrons et les nouveaux salariés), car seul un petit nombre peut se rendre maître de ces sociétés, les autres devenant nécessairement des salariés (que le nom sont prononcé ou non) à la solde des premiers.

 Classes, luttes de classes, organisation politique du prolétariat 

Auguste Blanqui établit le lien entre les luttes sociales et les intérêts économiques des différentes classes. Selon lui, ces intérêts régissent la morale et les idées. Posant le problème de la division en classes de la société, il montre le lien entre le combat que mènent les classes populaires pour les droits politiques et la lutte pour leurs besoins matériels. Se positionnant lui-même comme prolétaire, il assimile le prolétariat aux travailleurs en général, la grande majorité des Français de l’époque étant ceux qui vivent de leur travail dans le cadre des rapports marchands.

Posant que la contradiction centrale de la société moderne est entre bourgeoisie prolétariat, il analyse avec finesse les convergences et divergences d’intérêts entre les classes intermédiaires de la petite bourgeoisie et le prolétariat et met aussi en évidence que différentes fractions de la bourgeoisie peuvent avoir des intérêts contradictoires, et peuvent même, par crainte du prolétariat, nouer des alliances avec l’aristocratie qu’elles ont combattu hier.

En 1848, dans un « Avis au peuple » — dont Marx disait qu’il faisait le bilan de la lutte —, Blanqui précise que la révolution en cours ne constituerait « qu’une autre face la domination bourgeoise, si elle ne conduisait pas à l’émancipation complète des travailleurs ». Il demande l’organisation des ouvriers en garde nationale afin qui ne se retrouvent pas désarmés face aux manœuvres de la bourgeoisie. Toujours dans le contexte de cette révolution, il estime que les élections à l’Assemblée constituante devraient être ajournées, le peuple ne lui paraissant pas prêt, pas suffisamment organisé, pour faire entendre sa volonté. Dans les conditions d’une consultation électorale précipitée, la bourgeoisie aurait toute latitude pour reprendre le pouvoir.

Les élections, si elles se produisent, seront réactionnaires, et le peuple devra de nouveau se battre dans la rue.

La suite des événements attestera de la justesse de son analyse.

Blanqui dénonce aussi l’attitude du gouvernement qui a coupé court à toute alliance entre la paysannerie et le prolétariat, en décrétant un impôt (« des quarante-cinq centimes »), qui ne pouvait qu’aboutir à dresser les paysans contre la révolution.

Par ces aperçus, on saisit le rôle que Blanqui assigne, parmi les premiers en France, à la question de l’organisation politique du prolétariat et plus spécialement à l’importance de la prise du pouvoir. Il récusait par là les conceptions utopiques qui envisageaient une intégration pacifique du socialisme dans le capitalisme.

La critique de la conception “blanquiste” de la prise du pouvoir

Les critiques formulées contre Blanqui ont insisté sur les défauts de sa conception organisationnelle, qu’ils ont assimilée à du “putschisme”. Il est vrai, surtout dans les débuts de son activité, que la prise du pouvoir semble parfois se présenter pour lui comme un simple coup de main, résultant de l’action d’une petite fraction éclairée et organisée. À première vue, le facteur essentiel semble tenir à l’organisation d’un petit noyau, sans prise en compte des conditions extérieures de possibilité. Organisation, armement, discipline, voilà ce qui peut sembler suffire pour mener l’insurrection jusqu’à la révolution. Sur cette base, Blanqui a contribué à mettre sur pied un grand nombre de tentatives de prise du pouvoir, très minutieusement organisées, mais qui toutes échouèrent.

Dans son « Instruction pour une prise d’armes », trois ans avant l’insurrection populaire de la Commune, il expose en détail les mesures à prendre pour établir une dictature parisienne, développant un plan détaillé de combat, indiquant les rues où il faut élever des barricades, les textes d’appels au peuple qu’il conviendra de diffuser. Dans de tels textes, la question des conditions générales qui rendent possible ou non une révolution socialiste, celle de la liaison entre le noyau révolutionnaire et les classes susceptibles de s’engager dans le processus révolutionnaire, n’est pas toujours clairement établie. La révolution semble pouvoir se réaliser du seul fait que l’insurrection soit déclenchée au moment opportun lorsque le mécontentement populaire grandit.

Blanqui cependant, n’est pas ce putschiste borné que ses détracteurs présentent. Il est conscient des risques d’une révolution réduite à un simple coup de main :

Si nous nous emparons du pouvoir par un audacieux coup de main, comme des voleurs au milieu des ténèbres de la nuit, qui nous répondra de notre puissance ? Au-dessous de nous, n’y aurait-il pas des hommes énergiques et ambitieux qui brûleront de nous remplacer par de semblables moyens ? Ce qu’il nous faut à nous, c’est le peuple insurgé, le faubourg immense.

Blanqui n’ignore pas que la prise du pouvoir n’est pas toujours à l’ordre du jour. Il n’ignore pas non plus qu’il faut utiliser d’autres armes pour répondre aux besoins de survie immédiate des ouvriers. À cet égard, la grève, bien que n’étant qu’une « arme temporaire dans la guerre quotidienne », « est le moyen naturel à la portée de tous auquel tous participent ». « La seule arme vraiment populaire dans la lutte contre le capital. »

Prenant appui dans l’immédiat sur la grève comme moyen défensif contre l’oppression du capital, les masses populaires n’en doivent pas moins concentrer leurs efforts pour réaliser un changement politique, seul capable d’opérer une « transformation sociale ».

Blanqui n’imagine pas non plus que la révolution se réduise à un “grand soir”, à même de résoudre, comme par magie, tous les problèmes. Dans sa Critique Sociale, il indique les mesures économiques et politiques à prendre après la prise du pouvoir : — Assurer dans un premier temps la défense contre le capital, et dans un second temps assurer le contrôle social — Imposer aux chefs d’entreprise le maintien provisoire du statu quo pour le personnel et les salaires, s’ils refusent, les expulser du territoire, les remplacer par des régies — Pour les associations ouvrières, convoquer des assemblées compétentes qui discuteront des problèmes à résoudre — Agir avec prudence à l’égard des masses de la paysannerie, allié important du prolétariat, mais que le partage et l’association effraient encore. D’où la nécessité d’expliquer que les décisions du pouvoir révolutionnaire « respecteront les petits et moyens propriétaires », et « que nul ne pourra être forcé de s’adjoindre avec son champ à une association quelconque, et que, s’il y rentre, ce sera toujours de sa pleine et libre volonté ».

Lutte de classes et nation

Blanqui fait partie du rare contingent des théoriciens socialistes et communistes qui ont posé avec discernement la relation entre lutte de classes et nation. On ne peut proposer dans le cadre de cet article qu’un aperçu succinct de sa position sur le sujet [1].

L’essentiel de la pensée de Blanqui s’élabore au cours d’un demi siècle où le pouvoir politique échoit successivement à deux monarchies, à une république éphémère, à un empire. Ces cinquante années sont en outre inaugurées sous la tutelle étrangère de la Sainte Alliance, elles sont aussi marquées par la fin du règne de Napoléon III qui coïncide avec une défaite nationale (1870). Trois révolutions (1830, 1848, la Commune) ponctuent cette période, attestant que les contradictions sociales du passé s’épurent, que de nouvelles alliances de classes s’esquissent, le mouvement ouvrier parvenant à y jouer un rôle polarisateur. L’histoire sociale et politique de la nation dès lors n’est plus seulement focalisée sur les oppositions entre monarchie et république ou sur des querelles dynastiques, la question sociale, les contradictions entre les intérêts des classes modernes (bourgeoisie et classe ouvrière) tendent à devenir centrales.

Dans ce contexte, Blanqui considère la nation comme composée de classes qui se livrent à une lutte, à « une guerre à mort entre les classes qui composent la nation ». Il signifie par là que la nation ne constitue pas une forme qui suspendrait la lutte entre les classes qui la composent, tout en reconnaissant que la nation est un phénomène plus large que les éléments qui la constituent, qu’elle joue ainsi en quelque sorte un rôle intégrateur à l’égard des antagonismes de classes. Les classes, leurs intérêts, leurs luttes, déterminent en quelque sorte les caractères propres de la nation.

Les différentes classes n’ont pas pour autant les mêmes intérêts à l’égard de la préservation de cette nation. Le peuple selon Blanqui a des intérêts nationaux, il est patriote, à l’inverse des classes riches qui ont des intérêts cosmopolites et qui “trafiquent” la patrie.

Cette vérité [la lutte de classes dans la nation] étant bien reconnue, le parti vraiment national, celui auquel les patriotes doivent se rallier, c’est le parti des masses.

Dans la classe moyenne [bourgeoisie], la grande majorité composée de ces hommes qui n’ont de patrie que leur comptoir ou leur caisse, qui se feraient de grand cœur Russes, Prussiens, Anglais, pour gagner deux liards sur une pièce de toile.

Et les courtisans […], les intrigants, les croupiers qui cotent à la Bourse, l’honneur et l’avenir du pays.

Les classes populaires qui ne jouissent ni de charges, ni de bénéfices, qui ne se nourrissent pas du profit, ne jouent pas à la Bourse, ne se livrent pas au commerce international, ne sont pas des grands commis du pouvoir, n’ont pas intérêt à spéculer sur la nation ou l’inféoder à des puissances extérieures, elles ont tout à y perdre et sont portées à défendre le cadre historique et social qu’elles ont contribué à former.

À l’inverse, nombre de propriétaires fonciers, de capitalistes, de ceux qui tirent avantage du régime social, sont prêts à brader l’indépendance du pays, pour peu que leurs intérêts immédiats soient en jeu. C’est en fonction de cette analyse que lors de l’invasion prussienne en 1870, Blanqui peut indiquer:

En présence de l’ennemi, plus de partis, plus de nuances […] toute opposition, toute contradiction doit disparaître devant le salut commun.

Pour un esprit peu attentif, Blanqui peut paraître subordonner la lutte de classes à la défense de la nation. En réalité, les intérêts de classes étant clairement posés, il établit que les riches, les capitalistes sont prêts à sacrifier les intérêts nationaux, car ce qu’ils craignent par dessus tout, ce n’est pas l’invasion extérieure, mais à l’intérieur la lutte des masses pour l’égalité, pour le socialisme.

Au fond de cette guerre extérieure, il y a surtout la guerre intérieure. C’est le dedans qui décide du dehors. Le capital préfère le roi de Prusse à la République. Avec lui, il aura, sinon le pouvoir politique, du moins le pouvoir social.

On avait déjà vu à l’œuvre la souveraineté du capital dans l’intérieur. On va l’expérimenter pour les questions étrangères. […] Il nous reste à contempler les dernières convulsions de notre nationalité expirante. […] Car la patrie meurt, mais la Bourse ne se rend pas !

Dans la suite de l’histoire nationale, ces perspicaces observations de Blanqui ne seront pas vraiment démenties.

II — La vie de lutte d’Auguste Blanqui “révolutionnaire professionnel”

Auguste Blanqui est né en 1805. Très travailleur, il termine ses études à dix-neuf ans, devient répétiteur, sténographe, journaliste, et, en quelque sorte, “révolutionnaire professionnel”.

Ses premières conceptions politiques se forgent sous le règne de Charles X, et de façon plus décisive sous celui de Louis-Philippe (1830-1848), période marquée par un développement de la grande industrie et par l’essor du mouvement ouvrier. Ce mouvement se manifeste par de nombreux soulèvements, dont celui des canuts lyonnais (en 1831 et 1834), et par un mouvement gréviste en extension (il pouvait englober presque toutes les industries, à Paris notamment). En 1840, les grèves s’étendent à l’ensemble du pays. En relation avec ces mouvements et le développement de théories critiques du régime capitaliste, la classe ouvrière s’élève, de façon encore tâtonnante, à la conscience de ses tâches historiques et à la nécessité de forger une organisation politique indépendante. Dans la société, l’influence des systèmes socialistes utopiques décroît et déjà Blanqui ne peut plus être positionné dans ce cadre.

Son activité politique débute précocement. En 1824, à dix-neuf ans, il participe à l’organisation conspiratrice des Carbonari, en 1827, prenant part aux manifestations d’étudiants, il est blessé au cours d’un combat de rues contre la police et la troupe. Il est arrêté pour la première fois. En juillet 1830 il prend une part active à la révolution, mais est déçu par son résultat : l’établissement d’une monarchie bourgeoise, celle de Louis-Philippe (celui-ci se maintient jusqu’à la révolution de 1848). Sous la Monarchie de Juillet, Blanqui participe à l’aile gauche d’une association républicaine, les Amis du peuple. Cette Société est en 1832 mise en jugement sous l’inculpation de violation des droits de la presse et de complot contre la sûreté de l’État. Blanqui est de nouveau condamné. Dès sa sortie de prison, il répand avec plus de vigueur ses idées révolutionnaires, notamment au sein de la Société des Familles. Arrêté pour la part supposée prise dans une conspiration insurrectionnelle (dite l’Affaire des poudres), il est condamné une nouvelle fois. Dès sa sortie de prison en 1837, il fonde une nouvelle organisation, la Société des Saisons. En 1839, estimant que la conjoncture de crise économique est favorable à une insurrection, il marche avec un groupe de cinq cents révolutionnaires vers l’Hôtel de ville de Paris, afin de l’occuper. Une lutte inégale se solde par l’écrasement de l’insurrection. Blanqui est blessé, arrêté, parvient à s’échapper, il est repris, condamné en 1840 à la peine de mort, commuée en réclusion à vie.

Les conditions effroyables de vie en prison, au Mont Saint-Michel, puis à Tours, altèrent sa santé déjà fragile. Gracié pour cette raison en 1844, il reprend à l’hôpital son activité politique. À la suite de troubles survenus en 1846 dans la ville de Tours, en relation avec une nouvelle crise économique, il est reconduit en prison. Libéré lors du déclenchement de la révolution de 1848, il se rend à Paris et fonde la Société républicaine centrale, qui vise à organiser des partisans pour la révolution. Le 16 avril, il se dirige avec un important groupe d’ouvriers vers l’Hôtel de ville pour remettre au Gouvernement provisoire une pétition demandant « l’organisation du travail et l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme ». Le groupe se heurte aux gardes nationaux, leur protestation est qualifiée de « conspiration communiste ».

Les élections des 27 et 28 avril portent au pouvoir la bourgeoisie, sans qu’une place soit faite aux représentants ouvriers. Le mécontentement des classes populaires se manifeste alors le 5 mai par une importante manifestation. Blanqui n’en était pas l’instigateur et il en pressentait l’échec. Les manifestants envahissent la salle où se tenait l’Assemblée constituante, ils la déclarent dissoute au profit d’un nouveau gouvernement.

L’armée occupe l’Hôtel de ville et disperse les manifestants. Bien qu’il soit demeuré extérieur au mouvement, on accuse Blanqui d’avoir voulu dissoudre de force l’Assemblée constituante. Il est arrêté et condamné à dix ans d’emprisonnement, à Doullens, puis à Belle-Île. En prison, il lit beaucoup, approfondit ses connaissances en économie politique, philosophie, sciences naturelles, géographie, il écrit des articles, prépare des évasions. Il sera transféré en 1857 dans une prison corse, puis en Afrique du Nord. En 1859, à l’occasion d’une amnistie générale, il rentre à Paris, il apprend que ses manuscrits ont été brûlés en exécution des dernières volontés de sa mère. Son activité révolutionnaire se poursuit. En 1861, il est accusé d’avoir pris part à l’organisation d’une société secrète et de nouveau condamné, ce qui suscite l’indignation de milieux populaires.

Enfermé à Sainte Pélagie, il tombe malade et se trouve transféré en 1864 à l’hôpital d’où il parvient à s’évader. Il s’installe à Bruxelles, se rendant plusieurs fois clandestinement à Paris. Un groupe de combat qui se revendique de lui se constitue en France, son effectif atteindra en 1870, 2 500 membres.

En 1867-68, Blanqui rédige une « Instruction pour une prise d’armes » où il expose les mesures à prendre pour une révolution contre le régime impérial de Napoléon III. Toutefois, craignant de nouveaux échecs, il reste prudent quand au déclenchement de l’insurrection. Deux ans plus tard, au cours de la guerre de 1870, l’armée française connaît une série de défaites face à la Prusse, ce qui provoque l’indignation du peuple, les blanquistes en déduisent que le moment est cette fois-ci favorable à l’insurrection. Ils sollicitent la présence de Blanqui, qui arrive à Paris le 12 août. L’insurrection échoue et la plupart des instigateurs sont arrêtés, et condamnés, sans que le verdict soit entériné, la capitulation de Napoléon III devant l’ennemi à Sedan, la proclamation de la République le 4 septembre, en ayant ajourné la réalisation.

Dès la République proclamée, Blanqui fonde le journal la Patrie en danger dans lequel il appelle les masses à apporter leur soutien au gouvernement, les divisions devant être suspendues devant l’ennemi commun (l’Allemagne prussienne). Il préconise aussi la constitution d’une armée nationale. Face aux attermoiements du gouvernement, il écrit :

« le premier acte de la défense doit être la révocation de ceux qui rendent la défense impossible ».

Élu commandant d’un bataillon que le général Trochu fit dissoudre, il s’insurge :

Le gouvernement de la défense nationale et le général Trochu, qui était à la tête des forces armées parisiennes, montrèrent au peuple français leur vrai visage, le visage de la trahison nationale.

Le 31 octobre 1870, une nouvelle capitulation à Metz provoque la colère des masses populaires. Avec la garde nationale elles occupent l’Hôtel de Ville et mettent en état d’arrestation des membres du gouvernement, créant un comité provisoire chargé d’assurer la sécurité générale et d’organiser des élections municipales. Blanqui et ses partisans prennent la tête de ce mouvement qui, comme les précédents, échoue. Le gouvernement conserve le pouvoir mais promet de ne pas poursuivre les insurgés. Le 22 janvier 1871, les blanquistes jouent un rôle actif dans une nouvelle manifestation qui vise à renverser le gouvernement de Défense nationale. Cette manifestation, mal préparée, échoue.

Aux élections de février 1871 à l’Assemblée nationale, le nom de Blanqui, qui ne se trouvait pas sur la liste les candidats présentés par les clubs et comités, recueille 52 839 voix. Il part pour Bordeaux, puis dans le Lot, pour se reposer. Le 9 mars, il est mis en jugement pour sa participation à la journée du 31 octobre, ce qui constitue une violation des engagements pris par le gouvernement. Il est arrêté, et conduit, malade, à l’hôpital de Figeac, le jour même où le peuple prenait le pouvoir à Paris et proclamait la Commune. Il est transféré à la prison de Cahors parmi les prisonniers de droit commun où on le met au secret.

Le 28 mars, toujours emprisonné, il est élu à la Commune de Paris. On propose au gouvernement de l’échanger contre des otages de la Commune, mais Thiers refuse sa libération, même contre 74 otages, déclarant que « rendre Blanqui à l’insurrection équivalait à lui envoyer régiment ».

Le 22 mai Blanqui est conduit au Fort du Taureau, dans la baie de Morlaix. Il a 66 ans, sa santé est précaire. Le régime de prison est rigoureux, sa cellule est humide et froide, la surveillance très sévère. Il est transféré à la prison de Versailles le 12 novembre 1871, et après un an de détention préventive le conseil de guerre des Versaillais le juge coupable, pour sa participation aux événements du 31 octobre et pour sa « responsabilité morale » dans l’institution de la Commune de Paris. Il est condamné à la déportation et à la privation de ses droits civiques. La Cour de Cassation annule le jugement, mais le VIe Conseil de guerre le condamne à nouveau, sa déportation en Nouvelle-Calédonie est envisagée, toutefois les membres de la commission médicale admettent qu’il n’est pas en état de supporter le voyage. Il est condamné et emprisonné à la prison centrale, à l’isolement, dans une cellule de 3 m2. En raison de son état de santé, on lui attribue alors une cellule plus large, où il ne se sent pas moins « enterré vivant ».

Lors de son emprisonnement, sa candidature est présentée aux élections, il est élu à Bordeaux, bien que le Parlement invalide cette élection. En janvier 1878, le journal socialiste l’Égalité fait campagne pour sa libération. À la faveur de cette campagne, il est enfin gracié le 10 juin 1879. De retour à Paris, il entreprend des voyages à travers la France, prenant la parole dans de nombreuses réunions ouvrières. Les milieux populaires l’accueillent chaleureusement. En novembre 1880, il fonde avec ses amis le quotidien Ni Dieu ni maître, qui devient hebdomadaire, il en est rédacteur en chef. Le 27 décembre de cette même année, il prononce un discours en faveur du drapeau rouge, c’est son dernier discours. Terrassé par une attaque, il meurt le 1er janvier 1881, à 76 ans. À ses funérailles le 5 janvier 1881, 200 000 manifestants l’accompagnent au cimetière du Père-Lachaise. Le 9 août 1885 les ouvriers parisiens édifient un monument sur sa tombe, avec sa statue en bronze, sculptée par Dalou.

Dans le petit livre de Sylvain Molinier, paru à l’occasion du centenaire la révolution de 1848, celui-ci évoque l’émouvant gisant de bronze de Dalou, « où dort à jamais, enveloppé du drapeau rouge, le vieux révolutionnaire :

« On lit sur le visage douloureux l’amertume du lutteur déçu par un dur et peut-être vain combat ; mais la main et le bras, décharnés, se tendent, comme s’il vivait encore, dans un suprême effort pour signifier au passant le mot d’ordre : CONTINUER ».

Notes    (↵ Retourner au texte)

  1.  1. Pour une analyse de cette question, voir notamment Bernard Peloille, « Nation, formes d’État, classes, dans la pensée politique de Louis Auguste Blanqui », Cahiers pour l’analyse concrète, n°9, 1981.

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