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Comment Germinal m’a permis de mieux m’orienter en politique

Mon éducation chrétienne et le catéchisme m’ont présenté l’amour du prochain comme valeur première. Il s’agissait essentiellement pour moi d’une attitude individuelle vis à vis de l’autre, qu’il convenait d’adopter soi-même et de propager à l’humanité entière, par une réaction en chaîne.

Cette attitude consistait à considérer le “Bien” comme présent en tout être, surtout chez ceux au comportement “mauvais” (c’est à dire nuisible à autrui), en vue de provoquer un réconfort et une confiance mutuelle, pouvant inverser ce comportement de “brebis égarée”.

Il s’agissait donc de refréner la haine et de dominer la peur par une réaction quasi christique, pouvant aller jusqu’à recevoir des coups (“tu tendras la joue gauche”), mais surtout en tendant la main, considérant que la remise en question est toujours possible chez quiconque. La règle est alors de s’affranchir de tout préjugé social, racial ou culturel.

Mais le culte d’un Dieu m’a dès l’origine semblé hypocrite et stérile, relevant plutôt du conte de fées pour adultes. Je me suis donc forgé une philosophie de l’Amour concret, c’est à dire “terrien”, sans transiter par une autorité divine, abstraite et transcendante. Je me définissais alors comme chrétien non-croyant. Telle est ma première influence.

Le contexte familial est sans doute ma seconde influence, à plusieurs points de vue.

Je suis issu d’une famille d’origine polonaise sous influence culturelle allemande, avec des grands parents immigrés, mineurs dans le Pas de Calais et catholiques pratiquants.

Ceci explique sans doute ma grande émotion à la vue du film Germinal d’Yves Allégret (1963), lorsque j’avais sept ans, où j’ai éprouvé la fierté d’avoir des grands-parents et oncles mineurs, même si le film traitait d’une autre époque. Une conscience de classe et un sentiment de révolte ont probablement commencé à germer en moi dès cette période, même si ce n’était pas forcément l’objectif du film ni du livre.

Assez rapidement je me suis donc situé “à gauche”, malgré un père plutôt conservateur, comptable dans le privé, à qui la société française avait permis d’éviter la dure condition de mineur de ses parents et beaux parents. Or c’est justement cette société que rejetait mon frère, alors ado post-soixante-huitard, de cinq ans mon aîné, et en conflit permanent et violent avec mon père.

Par sensibilité autant que par raison, je prenais silencieusement le parti de mon frère, avec une tendance marquée à remettre en question l’ordre établi et surtout imposé. Je pense que toutes ces discussions familiales houleuses m’ont donné le goût de l’analyse et de la philosophie, pour chercher des solutions par la Raison et non dans les principes. J’ai compris aussi que vouloir le bien ne suffisait pas en soi.

Au lycée j’ai croisé la JEC (Jeunesse Étudiante Chrétienne) où j’ai pu exposer mes théories athées sur “l’Amour du prochain” et participer à des débats de société pour “un monde meilleur”. Mais je cherchais aussi un environnement amical, et sur ce point je sentais une mise à l’écart de ceux qui se connaissaient de longue date, et qui provenaient en général de classes socioculturelles favorisées.

En classe de terminale j’ai découvert la philosophie avec Georges Gastaud, professeur marxiste, adhérent du PCF, opposé au programme commun, puis fondateur plus tard du Pôle de Renaissance Communiste, pour rendre au PCF son caractère marxiste, léniniste et révolutionnaire. Progressivement s’est alors opérée ma transition de l’idéalisme de l’Amour du prochain vers le matérialisme de l’antagonisme de classe.

J’ai alors cheminé vers la Jeunesse Communiste (très présente dans la région de Lens d’où je suis originaire), où le milieu social était généralement à l’opposé de celui de la JEC. Je me suis rapidement aperçu que les réunions tournaient essentiellement autour des tâches d’exécution et que les discussions sur “la ligne” n’étaient pas à l’ordre du jour.

Mais les relations de sincère camaraderie (même si j’étais un peu considéré comme l’intello du groupe) et les positions en termes de classe me séduisaient. Les fêtes de l’Huma étaient de véritables bouffées d’oxygène, par leur diversité culturelle et artistique et leur ouverture intellectuelle (spectacles, Cité internationale, débats…). Ce qui contrastait avec la fermeture et l’étroitesse d’esprit de responsables politiques à qui je posais la contradiction, et qui devenaient rouges de colère lorsque je les titillais sur des questions sensibles (par exemple, répression syndicale en Pologne indigne d’un parti de la classe ouvrière), même si je sais maintenant que je manquais moi-même de recul pour certaines de mes objections. Mais je retrouvais là, sur un terrain radicalement opposé, la même intransigeance que celle de mon père, viscéralement anti-communiste et anti-cégétiste. Il n’en demeure pas moins que j’étais devenu un pro en adhésions (remises de cartes).

À l’Université, durant mes études d’économie et de gestion, j’ai côtoyé Jacky Hénin, alors étudiant comme moi, désormais ancien maire PCF de Calais et actuel député européen, qui m’a impressionné par sa répartie, son charisme et un certain épicurisme.

Après six mois d’enseignement comme maître auxiliaire en sciences et techniques économiques, d’abord chez Pigier, puis en lycée public, c’est à la Trésorerie Municipale du Havre que j’ai entamé ma carrière au Ministère des Finances. Par pure coïncidence, c’était alors une ville communiste de longue date. Mes activités militantes à la JC m’ont permis de lier connaissance avec “Le Havre profond” et d’établir des liens solides avec des militants de base, dotés d’une conscience de classe essentiellement liée à leur condition, parfois très misérable. Le responsable JC local de l’époque était J.P Lecoq, formation d’électricien, devenu député en 2007 (non réélu de peu en 2012). Soucieux de mes bases théoriques, j’ai fréquenté quelques écoles du PC qui m’ont un peu laissé sur ma faim.

C’est à cette période que j’ai voyagé dans les pays de l’Est, dont l’URSS, en 1985, pour le Festival mondial de la Jeunesse (et pour “l’amitié entre les peuples et contre l’impérialisme”). Les faits notables sont les dix mètres qui me séparaient de la tâche de vin de Gorbatchev lors d’une somptueuse cérémonie, la confiscation de pellicules photos que les autorités locales avaient jugées inopportunes, la colère (très médiatisée en France) du chanteur Renaud pour avoir dû chanter devant un public d’officiels, mais aussi la quasi gratuité du métro et des spectacles artistiques (hors festival), ou l’impression de sécurité lors de sorties nocturnes et les fréquentes discussions informelles engagées dans la rue par des jeunes moscovites qui nous entendaient parler français. J’ai aussi participé à des “camps d’amitié” franco-bulgare, franco-hongrois, plus formateurs sur le plan “relationnel” et culturel que politique, et franco-cubain… où les jeunes cubains ont fait défection, mais où j’ai pu apprécier les systèmes éducatifs et de Santé, et l’absence totale de barrières raciales.

Parallèlement j’ai adhéré à la CGT, que je confondais alors avec une organisation de lutte politique. Quand la CGT a modifié ses statuts en en supprimant l’orientation vers une socialisation des moyens de production, je me suis mis en porte à faux avec le syndicat, en présentant avec virulence, lors de congrès nationaux, des amendements contre cette trahison, créant un groupe d’opposition au sein du syndicat du Trésor. La compromission au sein de la CES faisait aussi partie de mes griefs. Par la suite la CGT est devenue pour moi un syndicat comme un autre, et j’ai compris les limites du syndicalisme.

De retour dans le Nord, et en dehors de tout cadre militant, j’ai rencontré ma future épouse, issue (nouvelle coïncidence) d’une famille ouvrière du Denaisis, où être communiste relevait de l’évidence (ce qui n’empêchait pas d’aller à l’église). C’est ce que j’appelle la conscience de classe spontanée. Le discours n’y était jugé juste que s’il était clair et assimilable, autrement dit s’il répondait avec suffisamment d’évidence à l’intérêt de classe.

Syndicalement j’avais adhéré au groupe “dissident” Continuer la CGT. C’est un adhérent de ce groupe qui m’a mis en contact avec la Société des Amis de Marx, puis avec Germinal. L’étude théorique répondait à mon profond besoin de connaître les fondements du communisme et de comprendre les aléas de sa mise en œuvre. J’ai trouvé à la Société des Amis de Marx les voies de l’étude, de la connaissance et donc de la raison, qui m’ont mené à approfondir et concrétiser mes faibles acquis avec l’organisation politique qu’est Germinal.

Le dogme, et l’intransigeance passionnelle y sont bannis au profit de l’analyse et du questionnement, qui circule réellement entre les différents échelons de l’organisation, et au sein de chaque instance, avec une écoute toujours attentive. Les analyses se veulent concrètes selon les situations concrètes. Dès lors il est fréquent d’y voguer à contre courant des idées reçues, notamment “de gauche”, mais toujours sur des bases théoriques solides. Ce n’est pas sans avoir à surmonter des contradictions personnelles selon notre place dans la société. Mais la récompense est de savoir transcender les traditionnelles querelles futiles et manichéennes entre chapelles politiques, car Germinal sait tordre le cou aux routines de pensée.

N’est-ce pas là le germe d’une véritable révolution ?

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